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Malgré l’inquiétude et le tourment que me causaient sa froideur apparente et sa réserve, j’étais sûr de son cœur ; je voyais qu’elle souffrait le martyre et que toute immixtion étrangère ne pouvait qu’exciter en elle du dépit, de l’animosité. En pareilles circonstances, l’intervention de nos amis les plus chers, initiés a nos secrets, est la chose qui nous est le plus à charge. Mais je savais qu’au dernier moment elle viendrait à moi et chercherait du soulagement dans mon cœur.

Je ne lui avais rien dit de mon entretien avec le prince pour ne pas l’agiter et la chagriner encore plus qu’elle ne l’était. Je lui avais dit en passant que j’avais été chez la comtesse et que j’étais convaincu que le prince n’était qu’une affreuse canaille ; elle ne m’avait pas interrogé, ce dont j’avais été bien aise ; en revanche le récit de mon entrevue avec Katia l’avait vivement intéressée et agitée, et pendant que je parlais, son visage, habituellement pâle, s’était couvert d’une vive rougeur. Je ne lui avais pas caché l’impression que la jeune fille avait produite sur moi. Pourquoi aurais-je agi autrement ? Elle se serait aperçue que je lui taisais quelque chose, et cela l’aurait irritée. Aussi lui avais-je donné tous les détails possibles, prévenant ses questions, car, dans la position où elle se trouvait, il devait lui être pénible de m’interroger, de s’enquérir des perfections de sa rivale.

Je pensais qu’elle ignorait encore qu’Aliocha devait partir avec la comtesse et Katia, je me demandais de quelle manière je m’y prendrais pour le lui annoncer, et pour amortir le coup que cette nouvelle devait lui porter. Mais, à mon grand étonnement, elle m’arrêta dès le premier mot et me dit qu’elle savait la chose depuis plusieurs jours déjà.

— Grand Dieu ! m’écriai-je ; et qui te l’a apprise ?

— Aliocha.

— Comment ! lui ?

— Oui ! et je suis résignée à tout, ajouta-t-elle d’un ton qui indiquait clairement que je n’avais pas à continuer cette conversation.

Aliocha venait la voir assez souvent ; mais il ne restait