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maudite par son père, ramènerait peut-être le cœur du vieillard à de meilleurs sentiments : c’était maintenant elle qui pressait son mari de prendre la petite. Le vieillard s’y prêta volontiers : il voulait avant tout lui complaire.

Le vieillard, on s’en souvient, n’avait pas plu à Nelly lors de leur première entrevue, et plus tard le visage de l’enfant prenait une expression haineuse rien qu’à l’ouïe du nom d’Ikhméniew. Il entra en matière sans préambule ; il alla droit à Nelly qui continuait à cacher son visage dans son oreiller, lui prit la main et lui demanda si elle voudrait aller demeurer chez lui et lui tenir lieu de fille.

— J’ai eu une fille que j’aimais plus que tout au monde, dit-il pour conclure ; mais je ne l’ai plus, elle est morte. Veux-tu la remplacer dans ma maison… et dans mon cœur ?

Et une larme brilla dans ses yeux desséchés et brûlés par la fièvre.

— Non, je ne veux pas, répondit Nelly, sans lever la tête.

— Et pourquoi, mon enfant ? Tu n’as personne au monde, Vania ne peut te garder éternellement avec lui, chez moi tu seras comme chez tes parents.

— Non, non, je ne veux pas ! parce que vous êtes méchant. Oui, méchant, méchant ! ajouta-t-elle relevant la tête et en le regardant en face. Moi aussi je suis méchante, je suis la plus méchante de tous, et pourtant vous êtes encore plus méchant que moi !… Ses yeux étincelaient, sa lèvre était blême et se contractait sous la violence de l’émotion. Le vieillard la regardait avec stupeur.

Oui, plus méchant que moi ; car vous ne voulez pas pardonner à votre fille, vous voulez l’oublier tout à fait et en prendre une autre ! Est-ce qu’on peut oublier son enfant ? Est-ce que vous m’aimerez ? Vous n’aurez qu’à me regarder pour vous rappeler que je ne suis pas votre fille et que vous en avez eu une, mais que vous l’avez oubliée, parce que vous êtes un homme cruel. Non, je ne veux pas vivre avec des gens cruels, je ne veux pas, je ne veux pas !… C’est après-demain la fête de Pâques ; tous s’embrassent, se donnent des baisers, tous se réconcilient, se pardonnent… je le