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à quelques polissonneries d’un garcon de cet âge (il s’efforçait évidemment d’atténuer la chose) plus d’importance qu’elles n’en méritaient, il avait résolu de le punir, de l’effrayer et, à cet effet, de l’envoyer passer quelque temps à la campagne, sous la garde tutélaire d’Ikhméniew. Le prince s’en remettait complétement à son honorable et excellent ami, ainsi qu’à son épouse, et les priait tous deux d’admettre son étourdi de fils dans leur famille, de lui faire entendre, dans la solitude, la voix de la raison, de l’aimer, si c’était possible, mais surtout de le corriger de sa légèreté de caractère et de lui inculquer les principes salutaires et rigoureux si indispensables dans la vie.

Le jeune prince arriva et fut accueilli comme un fils. Nicolas Serguéitch l’aima bientôt autant que sa Natacha ; et plus tard, après sa rupture avec le père, il se ressouvenait parfois avec joie de son Aliocha, ainsi qu’il avait coutume d’appeler le prince Alexis Pétrovitch.

C’était d’ailleurs un charmant garçon : joli, faible et nerveux comme une femme, en même temps plein de gaieté et de naïveté, doué d’une âme franche et accessible aux plus nobles sentiments, d’un cœur aimant, droit et reconnaissant, il devint l’idole des Ikhméniew.

Il était encore tout à fait enfant, malgré ses vingt ans, et l’on ne s’expliquait guère la raison pour laquelle son père, qui l’aimait beaucoup, disait-on, avait pu l’exiler. Il aurait, disait-on, mené à Pétersbourg une vie oisive et étourdie, et avait refusé d’entrer au service, ce qui avait fait beaucoup de chagrin à son père.

Ikhméniew ne lui fit aucune question, le prince ayant évidemment voulu taire dans sa lettre les véritables raisons de l’exil de son fils. D’après certains bruits, celui-ci se serait rendu coupable d’une étourderie impardonnable. On parlait d’une liaison, d’une provocation, d’une perte de jeu invraisemblable, même d’une somme d’argent qui n’appartenait pas au jeune homme et qu’il aurait dépensée. D’autres attribuaient la résolution prise par le prince à des considérations particulières, à un calcul d’égoisme personnel.

Nicolas Serguéitch repoussait tous ces rapports avec indi-