Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/287

Cette page n’a pas encore été corrigée


Nelly ne voulut pas se coucher ; elle s’assit sur le canapé et se couvrit le visage de ses deux mains.

Nous la laissâmes seule, et Alexandra Séménovna se mit aussitôt à me raconter avec une grande volubilité ce qu’elle avait à m’apprendre. Je ne sus certains détails que par la suite. Voici comment les choses s’étaient passées :

Après avoir écrit le billet qu’on a lu plus haut, Nelly avait d’abord couru chez le vieux docteur, dont elle avait su se procurer l’adresse. Le vieillard me raconta plus tard qu’il avait été tout effrayé en la voyant, et que pendant tout le temps qu’elle avait été chez lui, il avait cru rêver. Maintenant encore je ne peux pas y croire, disait-il comme conclusion. Et pourtant, rien n’était plus vrai. Il était dans son cabinet, en robe de chambre, et prenait tranquillement son café, lorsque Nelly était entrée brusquement et s’était jetée à son cou avant qu’il eût eu le temps de se reconnaître. Puis elle s’était mise à pleurer, à l’embrasser, à lui baiser les mains, le suppliant instamment et avec des paroles entrecoupées de la prendre chez lui ; elle lui avait dit qu’elle ne pouvait et ne voulait plus demeurer chez moi, que c’était pour cela qu’elle était partie ; qu’elle ne se moquerait plus de lui, ne parlerait plus de belles robes et se conduirait bien ; qu’elle apprendrait à lui laver et à lui repasser ses chemisettes (elle avait probablement préparé son discours d’avance), qu’enfin elle serait soumise et obéissante, et prendrait chaque jour toutes les poudres qu’il voudrait. Et si elle avait dit auparavant qu’elle voulait devenir sa femme, ce n’était qu’en plaisantant ; elle n’y pensait pas du tout. Le vieil Allemand était tellement abasourdi qu’il était resté tout le temps bouche béante, à lever les bras, et avait même laissé s’éteindre son cigare.

— Mademoiselle, lui avait-il répliqué, aussitôt qu’il eut recouvré quelque peu sa langue, mademoiselle, autant que j’ai pu vous comprendre, vous demandez que je vous prenne chez moi. Mais c’est impossible ! Vous le voyez, je suis logé à l’étroit, mes revenus ne sont pas considérables… Et puis enfin, ainsi tout droit, sans réfléchir… c’est affreux ! Et enfin, autant que je puis le voir, vous vous êtes enfuie de