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vers moi sa petite main brûlante aux petits doigts amaigris. Et même à présent que tout est passé, que tout est connu, je ne puis encore pénétrer tous les replis de ce pauvre petit cœur ulcéré.

Je sens que je me laisse détourner de mon récit, mais je ne veux penser qu’à ma pauvre Nelly. Et, chose étrange, à présent que je suis seul, couché sur mon lit d’hôpital, abandonné de tous ceux que j’ai tant aimés, il m’arrive parfois, quand je me reporte à cette époque, qu’un détail alors insignifiant, laissé inaperçu ou bientôt oublié, revient tout à coup se dresser devant ma mémoire avec une importance dont je ne m’étais pas douté, et m’explique ce que je n’avais pu comprendre jadis.

Pendant les quatre premiers jours de la maladie de Nelly, je fus dans des transes terribles ; mais le cinquième jour, le médecin me déclara que le danger était passé, et qu’elle se rétablirait. C’était ce même médecin dont j’ai parlé, et que je connaissais depuis longtemps, un vieux garçon, bon et original. Il avait soigné Nelly dans sa première maladie, et le ruban de Saint-Stanislas, d’une largeur extraordinaire, qu’il portait au cou, l’avait vivement impressionnée.

— Ainsi, il n’y a plus de danger, lui dis-je tout radieux.

— Pas pour le moment : elle se remettra ; mais elle ne vivra pas longtemps.

— Comment, pourquoi donc ? m’écriai-je tout abasourdi.

— Elle a un vice organique du cœur, et la moindre circonstance fâcheuse peut amener une nouvelle maladie. Il se peut qu’elle guérisse encore, mais elle retombera de nouveau malade, et enfin la mort viendra.

— Et il n’y a aucune possibilité de la sauver ? Cela me semble incroyable.

— Ce n’est que trop vrai. Si l’on parvenait à écarter les chances défavorables, à lui procurer une vie calme et douce, des distractions, le dénoûment pourrait être encore éloigné. Il y a même des cas… inattendus… étranges… anormaux… bref, le concours de diverses conjonctures favorables peut la sauver ; mais pour ce qui est d’une guérison radicale, jamais !

— Grand Dieu ! que faire alors ?

—