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tait chez moi, mais c’était le plus violent : les premiers n’avaient duré que quelques instants. Je restai encore quelque temps auprès d’elle, puis j’approchai des chaises que je rangeai devant le canapé, et me couchai dessus tout habillé, tout près d’elle, afin de me réveiller au moindre bruit. Je laissai brûler la lumière. Je la regardai bien des fois avant de m’endormir ; elle était toute pâle ; ses lèvres desséchées par la chaleur intérieure qui la consumait portaient encore des traces de sang : elle s’était sans doute blessée en tombant ; son visage avait conservé une expression de frayeur et de souffrance. Je résolus que si elle n’allait pas mieux le lendemain, j’irais de bonne heure chercher le médecin, car je craignais qu’elle ne fût sérieusement malade.

« C’est le prince qui l’aura effrayée », pensais-je en frémissant, et le récit de la femme qui lui avait jeté son argent à la figure me revint à la mémoire.



II

…Quinze jours s’étaient écoulés. Elle avait été très-malade et entrait en convalescence, elle commençait à se lever un peu ; c’était pendant la semaine sainte, qui cette année-là tombait vers la fin d’avril ; les jours étaient devenus plus longs et plus clairs.

Pauvre petit être ! Je ne me sens pas en état de continuer mon récit dans le même ordre qu’auparavant. Il s’est écoulé beaucoup de temps depuis lors jusqu’au moment où j’écris toutes ces choses passées ; mais jusqu’à présent ce n’est qu’avec un chagrin poignant, une douleur cuisante, que je me rappelle son petit visage pâle et maigre, et les regards perçants de ses yeux noirs, alors que nous étions seuls et que, couchée dans son lit, elle me regardait longtemps, longtemps, comme pour m’inviter à deviner sa pensée ; puis, lorsqu’elle voyait que je ne devinais pas, elle souriait avec une douceur ineffable, et d’un geste plein de caresse tendait