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aurait assez, moment qui n’est plus éloigné ; en attendant, ç’aura été pour lui une agréable distraction. Je suis resté à ses yeux le plus humain des pères ; il fallait qu’il eût de moi cette opinion, ha ! ha ! ha ! Je me rappelle que j’ai failli lui faire compliment, à elle, ce certain soir, de ce qu’elle avait été assez généreuse, assez désintéressée pour ne pas s’être fait épouser : j’aurais bien voulu savoir comment elle s’y serait prise ! Quant à ma visite d’alors, elle n’avait d’autre but que de mettre fin à leur liaison, mais il me fallait d’abord voir les choses par moi-même. Cela vous suffit-il ? ou bien voulez-vous peut-être encore savoir pourquoi je vous ai amené ici, pourquoi je me suis donné tant de mal à faire devant vous toutes ces contorsions, et à jouer la franchise tandis qu’il eût été si simple de vous dire tout cela sans vous faire aucune confidence ? Tenez-vous à le savoir ?

— Certainement.

Je me fis violence et l’écoutai. Je n’avais pas d’autre alternative.

— C’est uniquement, mon cher, parce que j’ai remarqué en vous un peu plus de raison et une manière de voir plus juste que chez nos deux nigauds. Vous auriez pu me connaître plus tôt, me deviner, faire des suppositions : j’ai voulu vous éviter cette peine et vous montrer clairement à qui vous avez affaire. Une impression vraie est d’une grande valeur. Vous me comprenez. Vous savez maintenant à quoi vous en tenir, vous aimez la jeune fille ; aussi j’espère que vous userez de toute votre influence (et vous en avez) pour lui éviter certains ennuis, sinon elle en aura, et vous pouvez être persuadé que ce ne sera pas pour rire. Enfin la dernière raison de ma franchise envers vous, c’est… (et vous l’avez sans doute deviné, mon cher), c’est que j’ai effectivement voulu baver sur toute cette histoire, et le faire en votre présence…

— Vous avez atteint votre but, répondis-je, frémissant de colère. Vous n’auriez pu me montrer d’une manière plus claire combien vous nous méprisez tous. Non-seulement vous n’avez pas craint de vous compromettre par vos confidences, vous avez voulu me montrer que la honte n’existe