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le verre en main, cordialement. Vous croyez que je suis ivre ! à votre aise : ça vaut encore mieux. Ha ! ha ! ha ! Vraiment ! ces moments passés ensemble en amis restent ensuite si longtemps gravés dans la mémoire, on se les rappelle avec tant de délices ! Vous êtes un méchant homme, Ivan Pétrovitch, vous manquez de sentimentalité, de sensibilité ? Qu’est-ce qu’une heure ou deux accordées à un ami tel que moi ? Et d’ailleurs, vous savez bien que cela se rapporte à notre affaire… Comment ne pas le comprendre, vous qui êtes littérateur ? vous devriez bénir une pareille occasion. Je puis vous servir de type, ha ! ha ! ha ! Dieu ; je suis adorable de franchise !

Il se grisait, c’était visible : ses traits avaient pris une expression méchante : on y lisait le désir de blesser, de piquer, de mordre, de railler. Mieux vaut peut-être qu’il soit ivre, me dis-je ; les ivrognes trahissent quelquefois leur pensée. Mais il avait toute sa raison.

— Mon ami, reprit-il, évidemment satisfait de lui-même, je vous ai fait tout à l’heure l’aveu, un peu déplacé peut-être, qu’il me vient à certains moments une envie irrésistible d’ôter mon masque. Pour récompenser cette naïve et débonnaire franchise, vous m’avez comparé à Polichinelle, ce qui m’a cordialement amusé. Mais si vous me reprochez d’être grossier, voire indécent à votre égard, de changer brusquement de ton, vous commettrez une injustice. Premièrement, il me plaît d’être ainsi ; secondement, je ne suis pas chez moi, mais avec vous… nous sommes en train de nocer ensemble, comme de bons amis, et troisièmement, j’aime les caprices à la folie. Savez-vous que, par caprice, j’ai été jadis métaphysicien et philanthrope, et que j’ai failli donner dans les mêmes idées que vous ? Il y a d’ailleurs terriblement longtemps ; c’était dans les jours dorés de ma jeunesse. J’étais arrivé dans mes propriétés avec des buts humanitaires, et je m’ennuyais à mort ; eh bien ! savez-vous ce qui m’arriva ? l’ennui me fit lier connaissance avec de jolies filles… Mais quoi ! Allez-vous de nouveau faire la grimace ? Oh ! mon jeune ami ! Quand voulez-vous donc qu’on se déboutonne, si ce n’est quand on fait la noce ? Je suis un