quelques grimaces sur toute cette histoire. Je profite donc de l’occasion, et d’autant plus volontiers que j’ai besoin depuis longtemps d’épancher mon âme devant vous. Ha ! ha ! ha !
— Vous m’étonnez, prince, je ne vous reconnais pas ; vous tombez dans le ton de Polichinelle : cette franchise inattendue…
— Ha ! ha ! ha ! vous n’avez pas tout à fait tort ; quelle ravissante comparaison ! Ha ! ha ! ha ! Je fais la fête, mon ami, je suis content et joyeux, et vous, mon poëte, il faut que vous m’accordiez toute l’indulgence dont vous êtes capable. Mais buvons plutôt, ajouta-t-il en remplissant son verre. Tenez, mon ami, cette absurde soirée, vous vous rappelez, chez Natacha, m’a exténué. Natacha était très- gentille, je l’avoue, mais je suis sorti de chez elle avec une effroyable animosité, et je ne veux ni l’oublier, ni le cacher. Certes, notre jour viendra aussi, et bientôt. Mais, bah ! il faut que je vous dise que j’ai en horreur ces naïvetés, ces idylles banales. Une de mes plus vives jouissances a toujours été de me jeter d’abord moi-même dans cet accord, de me mettre à l’unisson, de prodiguer mes caresses à un Schiller quelconque, éternellement jeune, et puis, tout à coup, brusquement, de le déconcerter en levant le masque, en transformant mon visage extasié en grimaces, juste au moment où il s’y attendait le moins. Quoi ? vous ne comprenez pas cela ? cela vous paraît vilain, absurde, ignoble peut-être.
— Cela va sans dire.
— Voilà qui est franc ! Mais que voulez-vous que j’y fasse si cela m’ennuie ? Moi aussi je suis sottement franc ; mais c’est mon caractère. Au surplus, j’ai envie de vous raconter quelques traits de ma vie. Vous me comprendrez mieux, et cela vous intéressera ; il est possible que je ressemble effectivement à Polichinelle, mais Polichinelle est franc, n’est-ce pas ?
— Écoutez, prince, il est tard, et vraiment…
— Dieu ! que vous êtes impatient ! Qu’avez-vous qui vous presse ? Restons encore un peu, causons en amis, sincèrement,