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Je n’en veux pas.

— Plaisanterie ! Il faut que vous me teniez compagnie. Je me sens d’excellente humeur et prêt à tourner au sentimental ; je ne saurais être heureux tout seul. Qui sait si, en trinquant, nous n’en viendrons pas à nous tutoyer, ha ! ha ! ha ! Non, mon jeune ami, vous ne me connaissez pas encore ! Je suis persuadé que vous me prendrez en amitié. Joie, chagrin, allégresse ou larmes, je veux tout partager avec vous aujourd’hui, quoique, pourtant, j’espère bien ne pas pleurer. En êtes-vous ? Réfléchissez bien que si vous ne remplissez pas mon désir, mon inspiration se perd, s’envole, s’évapore, et vous n’entendrez rien, vous qui êtes venu uniquement pour entendre. N’est-ce pas juste ? ajouta-t-il en clignotant de nouveau. À vous de choisir.

La menace me donna de nouveau à réfléchir. Je consentis. Voudrait-il peut-être me griser ? me demandai-je. Il m’était revenu des choses étranges sur son compte : on disait que tout convenable et élégant qu’il était en société, il lui arrivait parfois, la nuit, de s’enivrer comme un goujat et de se livrer en secret à la plus basse et à la plus dégoûtante débauche. Je n’avais pas voulu y croire ; maintenant j’attendais ce qui arriverait.

On apporta le Champagne, et il en remplit deux verres.

— Vraiment, un beau brin de fille, bien qu’elle m’ait un peu malmené, continua-t-il en dégustant son vin ; et c’est justement dans ces moments-là que ces gentilles créatures sont les plus gentilles… Elle a cru m’avoir couvert de confusion ce certain soir, vous vous rappelez, elle s’imaginait m’avoir pulvérisé ! Ha ! ha ! ha ! Et comme la rougeur lui allait bien ! Vous connaissez-vous en femmes ? Une subite rougeur va quelquefois admirablement bien aux joues pâles, n’avez-vous pas fait cette remarque ? Ah ! mon Dieu ! je crois que vous vous fâchez de nouveau !

— Certainement, m’écriai-je, ne pouvant plus me contenir. Je ne veux pas que vous parliez de Natacha Nicolaïevna… c’est-à-dire que vous parliez d’elle sur ce ton. Je… je vous le défends !

— Oh ! oh ! Très-bien ! Soit, je vous ferai le plaisir de