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Je sais que vous étiez prête à tous les sacrifices.

— D’abord, oui ; mais ensuite, lorsqu’il est venu plus souvent et qu’il s’est mis à m’aimer toujours davantage, j’ai réfléchi, et je me suis demandé si je devais persister ou non dans ce sacrifice. C’était bien mal de ma part, n’est-ce pas ?

— C’était naturel, répondis-je ; on ne saurait vous en faire un reproche.

— Je ne suis pas tout à fait de votre avis, et je crois que c’est votre extrême bonté qui vous fait parler de la sorte. Quant à moi, j’attribue ces hésitations à ce que je n’ai pas la conscience tranquille ; sans cela, je saurais à quoi m’en tenir. Mieux informée ensuite sur leurs rapports par le prince, par maman et par Aliocha lui-même, j’en suis venue à l’idée qu’ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre, ce que vous venez de confirmer. Je me suis alors encore plus demandé ce que j’avais à faire. Si effectivement ils doivent être malheureux, ne vaudrait-il pas mieux pour eux de se séparer ? ai-je pensé ; c’est alors que j’ai résolu de vous demander des informations plus détaillées et d’aller voir Natacha pour tout décider avec elle.

— Comment vous y prendrez-vous ?

— Je lui dirai : Vous l’aimez par-dessus tout, vous devez donc mettre son bonheur au-dessus de toute autre chose et, par conséquent, vous séparer de lui.

— Fort bien ; comment accueillera-t-elle cette proposition ? Et supposé qu’elle soit d’accord avec vous, aura-t-elle la force de prendre une résolution si héroïque ?…

— C’est à quoi je pense jour et nuit, et… et…

Une larme roula sur sa joue.

— Vous ne sauriez croire combien je la plains, dit-elle tout bas.

Que pouvais-je ajouter ? J’avais presque envie de pleurer moi-même, et je me tus. Quelle charmante enfant ! Je n’eus pas le cœur de lui demander pourquoi elle se croyait capable de faire le bonheur d’Aliocha.

— Vous ne vous repentirez pas d’avoir fait connaissance, lui dis-je. Elle le désire beaucoup, et cela me semble indispensable. Ne vous chagrinez pas trop. Le temps se chargera