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empêcherais de causer. Mais ne sois pas fâché, au moins.

— Je m’en vais, puisqu’il le faut… Je passerai chez Lévinka, et puis j’irai tout droit chez elle. À propos, Ivan Pétrovitch, dit-il en prenant son chapeau, vous savez que mon père ne veut pas accepter l’argent qu’il a gagné dans le procès contre Ikhméniew.

— Je le sais, il me l’a dit.

— Quelle noblesse de caractère ! Katia prétend qu’il n’en est rien ; causez-en avec elle. Adieu, Katia ! ne doute pas de mon amour pour Natacha, je t’en supplie. Pourquoi m’imposez-vous tous des conditions, pourquoi me faites-vous des reproches, pourquoi me poursuivez-vous… comme si j’étais sous votre surveillance ? Natacha connaît mon amour, elle est sûre de moi, et pourtant, demande à Ivan Pétrovitch, il te dira qu’elle est jalouse, égoïste.

— Comment ? demandai-je, ne pouvant en croire mes oreilles.

— Que dis-tu, Aliocha ? s’écria Katia en levant les bras de surprise.

— Ivan Pétrovitch le sait bien : elle voudrait que je fusse avec elle, je vois bien qu’il lui en coûte de me laisser aller, et c’est comme si elle me retenait. Si elle m’aimait autant que je l’aime, elle sacrifierait son plaisir au mien.

— Ce n’est pas ton langage simple et franc, répliqua Katia tout irritée. Ton père t’a fait la leçon, t’a endoctriné. Inutile de ruser ; je te connais trop bien. Ai-je bien deviné ?

— En effet, nous avons causé, répondit-il avec embarras. Il était extrêmement affable, et il l’a beaucoup louée, quoiqu’elle l’ait si fort offensé.

— Comment avez-vous pu vous laisser si facilement convaincre, vous à qui elle a tout sacrifié ? lui dis-je. Tout à l’heure encore elle n’avait qu’une inquiétude, éviter que vous vous ennuyiez auprès d’elle et vous donner la possibilité de voir Catherine Féodorovna ; j’en ai été témoin.

— L’ingrat ! s’écria Katia en faisant un geste désespéré.

— Mais que me reprochez-vous, en définitive ? répliqua-t-il d’une voix plaintive. Je ne parle pas d’Ivan Pétrovitch ; mais toi, Katia, tu es toujours prête à voir les choses en mal…