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samovar en argent et préparait le thé, qu’elle nous servit elle-même. Outre le prince et moi, il y avait encore un monsieur appartenant à la haute aristocratie. C’était un homme déjà sur le retour, décoré, et qui avait les manières empressées d’un diplomate. Il paraissait être l’objet d’une considération toute particulière.

Je cherchai des yeux Catherine Féodorovna : elle était avec Aliocha dans la chambre voisine, mais elle entra aussitôt qu’elle eut appris notre arrivée. Le prince lui baisa la main avec amabilité et me présenta à elle. C’était une délicate petite blonde, avec de beaux yeux bleus ; son visage d’un ovale bien dessiné avait une expression douce et placide ; ses traits étaient réguliers, sa chevelure épaisse : je m’étais attendu à un ensemble de toutes les perfections, je trouvai la beauté du diable, rien de plus. Elle me tendit la main sans dire un mot, se mit à me regarder avec une attention ingénue, naïve, persistante, qui produisit sur moi une impression étrange. Je me sentis en présence d’une âme d’élite.

Après m’avoir serré la main, elle me quitta avec une certaine précipitation pour aller rejoindre Aliocha. Celui-ci vint me saluer et me dit tout bas : « Je ne suis ici que pour un instant, et je cours la rejoindre. »

On m’offrit une tasse de thé et l’on ne s’occupa plus de moi, ce dont je fus enchanté ; je me mis à observer la comtesse. La première impression lui fut favorable : elle me plut en dépit de moi-même ; elle n’était plus de la première jeunesse, cependant je lui donnai tout au plus vingt-huit ans ; son visage avait encore une certaine fraîcheur, et elle avait dû être très-jolie ; ses cheveux châtains étaient beaux et épais, son regard, qui exprimait la bonté, avait en même temps quelque chose de volage et d’espiègle qu’elle s’efforçait de dissimuler en ce moment. Son caractère me sembla être fait de légèreté, d’amour des plaisirs et d’une bonne dose d’un doux égoïsme. Elle était entièrement soumise à l’influence du prince.

Je savais qu’ils avaient eu une liaison intime, et j’avais même entendu parler du prince comme d’un amant trop débonnaire pendant leur séjour à l’étranger ; mais il me