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suite à cela. Cela se passait à Santa-Fé de Bogota ou peut-être à Cracovie, mais plus certainement dans le duché de Nassau ; tu sais, tu auras lu ce mot sur les étiquettes des bouteilles d’eau de Seltz ; eh bien ! c’était précisément là, à Nassau ; ça te suffit-il ? Il débauche donc la jeune fille et l’enlève, munie de certains papiers qu’il l’avait persuadée de prendre en partant. Jusqu’où l’amour peut aller ! et dire que c’était une âme honnête, cette jeune fille ! Elle ne se connaissait peut-être pas beaucoup en paperasses : elle n’avait qu’une crainte : la malédiction paternelle. Le prince ne fut pas embarrassé pour si peu ; il signa un engagement formel, légal, de l’épouser, et il lui fit croire qu’ils s’en allaient faire un petit voyage, une promenade, et que lorsque le courroux du vieux serait apaisé, ils reviendraient mariés auprès de lui et vivraient toute leur vie à trois, heureux et amassant du bien, et ainsi de suite, aux siècles des siècles. Elle partit, le vieux la maudit et, par-dessus le marché, fit banqueroute. Frauenmilch6 aimait si éperdument la jeune fille qu’il abandonna son commerce et quitta tout pour lui courir après, à Paris…

— Attends ! qui est ce Frauenmilch ?

— Mais l’autre, comment ai-je dit ?… Feuerbach7… comment, diantre ?… Chose… Pfefferkuchen… Quant au mariage, le prince n’y songeait pas : qu’aurait dit la comtesse X… ? Quelle aurait été l’opinion du baron Z… ? Il fallait donc la duper, c’est ce qu’il fit avec une effronterie !… Il en vint à la rudoyer, presque à la battre, puis il invita Pfefferkuchen, qui vint la voir souvent et pleurnicher avec elle des soirées entières. Le prince avait arrangé tout ça à bon escient. Un soir il les surprit ensemble, il prétendit qu’ils avaient des relations intimes, chercha noise : il avait vu, vu de ses propres yeux ! Bref, il les prit tous deux au collet et les flanqua à la porte, après quoi il s’en alla faire un séjour à Londres. En attendant, la demoiselle donnait le jour à une fille… je voulais dire à un garçon, Volodka, car on le baptisa Voldemar. Pfefferkuchen fut parrain. Il n’avait qu’un petit