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pour te montrer quelle canaille il est. Mais dis-moi d’abord ce que tu sais.

Je réfléchis que je n’avais absolument rien à dissimuler à Masloboïew. L’histoire de Natacha n’était pas un secret, et je pouvais d’ailleurs espérer quelque profit pour elle de mon entretien avec Masloboïew. Je la lui racontai donc. Il m’écouta avec attention, m’interrompit même pour m’adresser diverses questions.

— Hein ! c’est une forte tête, cette jeune fille ! fit Masloboïew quand j’eus achevé mon récit. Si elle n’a pas deviné parfaitement juste, elle a du moins, dès le début, compris à qui elle avait affaire et rompu toutes relations. C’est une brave fille ! À la santé de Natalie Nicolaïevna ! (Il vida son verre.) C’était peu que d’avoir de la tête, il fallait du cœur pour ne pas se laisser tromper. Sa cause est perdue, c’est évident ; le prince persistera dans son idée, et Aliocha la plantera là. Le seul qui me fasse de la peine, c’est Ikhméniew ; être obligé de payer dix mille roubles à ce misérable ! Qui donc s’est occupé de ses affaires ? qui est-ce qui a mené son procès ? lui-même peut-être ! ha ! ha ! ha ! ils sont tous ainsi, ces nobles cœurs ! Ce n’est pas ainsi qu’il fallait s’y prendre. C’est moi qui lui aurais trouvé un avocat… Et il frappa sur la table avec dépit.

— Eh bien, que me diras-tu du prince ?

— Tu n’as que ça à la bouche. Que veux-tu qu’on en dise ? Je suis fâché d’avoir entamé cette question, je ne voulais que te prévenir contre ce fourbe, ce fripon ; te garantir, si je puis dire ainsi, contre son influence. Quiconque a des rapports avec lui est en danger. Ainsi dresse l’oreille, c’est tout ce que j’ai à te dire. En attendant, tu as cru que j’allais te raconter Dieu sait quels mystères de Paris : tu es un romancier. Que veux-tu qu’on dise d’un fripon, sinon que c’est un fripon ?… Je te raconterai une toute petite de ses histoires comme spécimen ; naturellement tu ne peux pas t’attendre à une précision de calendrier, et je ne nommerai ni pays, ni ville, ni personnages.

— Tu sais que, dans sa première jeunesse, reprit Masloboïew, alors qu’il était réduit à vivre de ses appointements