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de perdre mon affection, ou comme si elle était honteuse d’avoir été trop communicative.

— Tu dis que tu t’ennuies et que tu ne t’ennuies pas, repris-je en souriant. Quand est-ce que tu ne t’ennuies pas ?

— Ah ! je sais pourquoi vous me demandez cela, dit-elle en rougissant.

Nous étions sur le seuil, la porte ouverte. Nelly devant moi, les yeux baissés, avait posé une de ses mains sur mon bras, et de l’autre elle tiraillait la manche de mon habit.

— Ne peux-tu pas me le dire ? Est-ce un secret ?

— Non… C’est que je… j’ai commencé à lire votre livre, dit-elle à demi-voix en levant sur moi son regard tendre et pénétrant.

— Ah ! vraiment ! est-ce qu’il te plaît ? demandai-je avec l’embarras d’un auteur qui s’entend louer ; j’avais grande envie de l’embrasser, mais je n’osai…

— Pourquoi est-ce qu’il meurt ? demanda-t-elle tout à coup avec l’accent de la plus profonde affliction, et elle me jeta un regard rapide comme l’éclair, puis elle baissa de nouveau les yeux.

— Qui donc ?

— Le jeune, celui qui est malade de la phthisie… dans votre livre.

— Que faire ? Nelly, l’histoire le veut ainsi.

— Pas du tout, répondit-elle tout bas brusquement, presque avec irritation et en prenant une mine boudeuse.

Il se passa encore une minute.

— Et elle… les deux autres… la jeune fille et le vieux, reprit-elle en tiraillant toujours plus fort la manche de mon habit, resteront-ils ensemble ? Est-ce qu’ils seront pauvres ?

— Non, la jeune fille s’en ira loin, bien loin ; elle épousera un propriétaire, et le père restera seul, répondis-je désolé de ne pouvoir lui dire quelque chose de plus consolant.

— C’est ainsi. Oh ! comme vous êtes… je ne lirai plus.

Elle repoussa ma main, me tourna le dos et s’éloigna les yeux baissés. Ses joues étaient brûlantes, et sa respiration inégale et oppressée.

— Pourquoi es-tu fâchée, Nelly ? lui dis-je en m’approchant ; tu