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Aliocha arrivait, nous faisions la paix, mes soupçons se trouvaient injustes, on me détrompait, et… à tout hasard, j’avais préparé quelque chose à manger. Je m’étais dit que nous nous attarderions…

Pauvre Natacha ! Elle était toute confuse ! Aliocha était dans le ravissement.

— Tu vois que tu n’y croyais pas ; il y a deux heures, tu ne croyais pas à tes soupçons, s’écria-t-il. Il faut que tout cela s’arrange, c’est moi qui ai fait le mal ; c’est à moi de le réparer. Permets-moi d’aller sur-le-champ trouver mon père ; il faut que je le voie : il est blessé, offensé, il faut que j’aille le calmer ; je lui dirai tout, je lui parlerai en mon nom, tu n’y seras pour rien, et j’arrangerai tout… Il se justifiera, tu verras… Je viendrai demain de grand matin, et je resterai toute la journée avec toi, je n’irai pas chez Katia…

Elle ne le retint pas ; elle abonda même dans son sens et lui demanda seulement de ne rien dire en son nom. Elle s’efforçait de sourire ; au moment de la quitter, Aliocha lui prit les deux mains, s’assit à côté d’elle et la regarda avec une tendresse inexprimable.

— Natacha ! mon amie, mon ange ! ne sois pas fâchée contre moi, ne nous querellons plus jamais. Donne-moi ta parole que tu me croiras toujours, et moi, je te croirai aussi. Écoute, mon ange, ce que je vais te raconter.

Un jour, nous nous étions querellés, je ne sais plus pourquoi. J’avais tort, mais je ne voulais pas en convenir. J’errais triste et désolé dans les rues, j’entrais chez mes amis… il me vint alors à l’esprit cette idée : Que ferais-je maintenant si elle mourait ? Je fus subitement pris d’un désespoir aussi violent que si je t’avais effectivement perdue. Et les pensées se succédaient toujours plus douloureuses. Il me sembla ensuite que j’étais auprès de ta tombe, couché sans connaissance sur la terre qui te recouvrait, anéanti par la douleur. Je couvrais de baisers cette froide tombe ; je t’appelais, je te demandais d’en sortir au moins une minute ; je priais Dieu de faire un miracle et de te rappeler à la vie un instant devant moi ! Comme je me serais jeté dans tes bras ! comme je t’aurais serrée sur mon cœur ! Je crois que je serais mort