Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/204

Cette page n’a pas encore été corrigée

chissez donc, esprit exalté que vous êtes, que par la proposition que je vous ai faite mardi, je m’engageais trop, j’aurais vraiment fait preuve de trop de légèreté !…

— En quoi vous engagiez-vous ? Qu’est-ce à vos yeux que de me tromper, d’offenser une pauvre jeune fille, une pauvre fugitive, repoussée par son père, sans défense, qui s’est noircie elle-même, une créature immorale ? Vaut-il la peine d’y mettre quelque cérémonie ? Pourvu que cette force vous vaille un profit quelconque, quelque minime qu’il soit…

— Dans quelle position vous mettez-vous, Natalie Nicolaïevna, réfléchissez-y. Vous voulez absolument que je vous aie offensée. Mais l’offense dont vous m’accusez serait si grave, si avilissante, que je ne comprends pas même qu’on puisse la supposer, encore moins qu’on puisse la formuler avec tant d’insistance. Il faut être expert en toutes sortes de matières pour l’admettre, permettez-moi de le dire. J’ai le droit de vous faire des reproches, car vous armez mon fils contre moi, et bien que maintenant il ne prenne pas parti contre moi pour vous défendre, son cœur ne m’en est pas moins hostile.

— Non, non, père, non ! s’écria Aliocha ; si je ne me suis pas révolté contre toi, c’est parce que je crois que tu n’as pas pu l’offenser, et je ne puis pas croire non plus à la possibilité d’une semblable offense !

— Vous entendez, s’écria le prince.

— Natacha, c’est moi qui suis cause de tout ; ne l’accuse pas, lui ; c’est injuste, c’est affreux !

— Vous voyez ! Il est déjà contre moi, s’écria Natacha.

— Assez ! dit le prince ; il est temps de mettre fin à une scène aussi pénible. Cet aveugle et furieux transport de jalousie, qui ne connaît plus de bornes, peint votre caractère sous un point de vue tout nouveau pour moi. Je suis prévenu. Nous nous sommes trop hâtés. Vous ne remarquez pas même combien vous m’avez blessé ; cela vous est indifférent. Nous nous sommes trop hâtés… trop hâtés… ma parole est sacrée ; mais… je suis père, et je veux le bonheur de mon fils…

— Vous retirez votre parole, s’écria Natacha hors d’elle, vous ê