Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/203

Cette page n’a pas encore été corrigée

Prouver ! s’écria Natacha en se levant brusquement de sa chaise, il vous faut des preuves ! Lorsque vous êtes venu me faire votre proposition, pouviez-vous agir autrement ? Ne vous fallait-il pas tranquilliser votre fils, endormir ses remords, afin qu’il pût, libre et sans inquiétude, se donner tout entier à Katia ? Sinon ne se serait-il pas toujours souvenu de moi ? se serait-il soumis à vous, qui vous ennuyiez d’attendre ?

— J’avoue, répondit le prince avec un sourire sarcastique, j’avoue que si j’avais voulu vous tromper, j’aurais effectivement fait le calcul que vous dites ; vous avez beaucoup de sagacité ; mais, quand on porte de pareilles accusations, il faut pouvoir les prouver…

— Il faut prouver ! Et votre conduite antérieure, lorsque vous vous efforciez de l’éloigner de moi, que prouve-t-elle ? Enseigner à son fils à se faire, pour des intérêts mondains, pour de l’argent, un jeu de ses obligations, c’est le dépraver. Vous parliez tout à l’heure de vilain escalier, de mauvais appartement. Ne lui avez-vous pas retranché l’argent que vous lui donniez chaque mois, afin de nous contraindre, par la misère et la faim, à nous séparer ? C’est vous qui avez voulu cet appartement et cet escalier, et maintenant vous le lui reprochez, homme à double face ! D’où vous venaient tout à coup, ce soir-là, cette ardeur, ces convictions, jusqu’alors inconnues ? Pourquoi avez-vous eu besoin de moi ? J’ai passé quatre jours à aller et venir par la chambre, réfléchissant à tout, pesant tout, chacune de vos paroles, chaque expression de votre visage, et je suis arrivée à la conviction que tout cela n’a été qu’un jeu mensonger, une inqualifiable comédie. Je vous connais, je vous connais depuis longtemps. Chaque fois qu’Aliocha venait d’auprès de vous, je devinais à son visage tout ce que vous lui aviez dit, suggéré, je voyais votre influence sur lui. Non, vous ne sauriez me tromper ! Il se peut que vous ayez encore d’autres calculs, il se peut que je n’aie pas encore découvert le principal ; mais, peu importe ! vous me trompiez, voilà l’important ! Voilà ce qu’il fallait que je vous dise, tout droit et en face !…

— Est-ce tout ? Sont-ce là toutes vos preuves ? Mais réflé