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comme me prenant à témoin de son innocence. Il était furieux. Vous êtes défiante et inquiète, reprit-il en s’adressant à Natacha ; vous êtes jalouse de Catherine Féodorovna et, partant, prête à accuser le monde entier, et moi tout le premier ; mais… permettez-moi de vous le dire, vous risquez de me donner une étrange idée de votre caractère… Je ne suis pas habitué à des scènes de ce genre, et je ne resterais pas ici une minute de plus, n’étaient les intérêts de mon fils… J’attends encore que vous vouliez bien vous expliquer.

— Ainsi, quoique vous sachiez tout, vous vous obstinez à ne pas comprendre ce que j’ai résumé en deux mots. Soit ! Vous voulez absolument que je dise tout, sans détour ?

— C’est tout ce que je demande.

— Très-bien ! Écoutez-moi, s’écria-t-elle, les yeux étincelants de colère. Je dirai tout !…



III

Natalie se leva et commença d’une voix émue. Le prince s’était aussi levé, et la scène était devenue extrêmement solennelle.

— Vous rappelez-vous ce que vous avez dit mardi dernier ? demanda Natacha. Vous avez dit : « Il me faut de l’argent, des chemins battus, de l’importance dans le monde. » Vous vous en souvenez ?

— Je m’en souviens.

— Eh bien ! c’est pour rattraper cet argent, pour reconquérir ces succès qui venaient de vous glisser entre les doigts que vous êtes venu mardi et que vous avez imaginé votre demande en mariage, calculant que cette farce vous aiderait à rentrer en possession de ce qui vous échappait.

— Natacha ! m’écriai-je, pense à ce que tu dis !

— Farce ! calcul ! répéta le prince avec l’accent de la dignité blessée.