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quelques jours tu t’es senti entraîné vers tout ce qui est noble, beau, honnête, et tu te plains que notre société ne cède pas à de pareils entraînements et ne connaisse que la froide raison ! Considère à présent ta conduite : tu t’enflammes pour tout ce qui est beau et grand, et, malgré les événements de mardi dernier, tu n’as pas le moindre égard pour celle qui, ce me semble, devrait être ce que tu as de plus cher au monde ! Tu viens nous raconter ta dispute avec Catherine Féodorovna, à laquelle tu soutenais que Natalie Nicolaïevna t’aime à tel point et qu’elle est si généreuse, qu’elle ne pourra faire autrement que te pardonner ta conduite. Tu comptes sur ce pardon, tu paries que tu l’obtiendras ; de quel droit ? Il ne t’est pas venu une seule fois à l’esprit à combien de tourments, d’amères pensées, de doutes, de soupçons, tu l’abandonnais pendant quatre jours ! Crois-tu que, parce que tu te laissais captiver par certaines idées nouvelles, tu étais en droit de négliger le premier de tes devoirs ? Veuillez me pardonner, Natalie Nicolaïevna, de ne pas tenir ma promesse ; la chose est trop sérieuse, vous le comprenez… Il faut que tu saches, Aliocha, que j’ai trouvé Natalie Nicolaïevna en proie à de si grandes souffrances que j’ai compris en quel enfer tu avais transformé pour elle ces moments qui auraient dû être les plus beaux de sa vie. D’un côté, de semblables actions, et de l’autre, des paroles, des paroles, et toujours des paroles… Et après cela, tu te crois en droit de m’accuser, toi, si coupable !

Il s’arrêta satisfait et triomphant après ce mouvement d’éloquence. Lorsqu’il avait parlé des souffrances de Natacha, Aliocha l’avait regardée avec une expression de douleur indicible. Mais Natacha avait déjà pris sa résolution.

— Ne te désole pas, Aliocha, le grand coupable, ce n’est pas toi. Reste assis et écoute ce que j’ai à répondre. Il est temps d’en finir !

— Expliquez-vous, Natalie Nicolaïevna, répliqua le prince, je vous en supplie ; voici deux heures que vous faites des allusions qui sont autant d’énigmes pour moi ; cela devient intolérable, et j’avoue que je ne m’y étais pas attendu en venant ici.

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