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compris pour la vie. Il faut que tu fasses sa connaissance, Natacha ! Si tu l’avais entendue te raconter à moi, t’expliquer ! me montrer que tu es un trésor pour moi ! Puis elle m’a exposé sa manière d’envisager la vie, elle m’a parlé avec enthousiasme de nos devoirs, de notre mission, de l’obligation que nous avons tous de servir la cause de l’humanité. Au bout de quelques heures d’entretien, nous prenions l’engagement de travailler à la même œuvre toute notre vie.

— Et quel sera le cercle de votre action ? demanda le prince.

— Je suis changé à tel point, papa, que je comprends que tu en sois étonné, répondit solennellement Aliocha. Vous êtes des gens pratiques, qui avez vos principes rigoureux, sévères, éprouvés ; vous vous défiez de tout ce qui est nouveau, jeune, frais, vous êtes toujours prêts à le tourner en ridicule. Je ne suis plus celui que tu as connu il y a quelques jours, je suis tout autre, et je regarde hardiment en face hommes et choses. Dès le moment que je saurai que ma conviction est juste, je la poursuivrai jusqu’à la dernière extrémité, et si je ne me laisse pas détourner de ma route, j’aurai été un honnête homme ; mais assez parlé de moi. Vous direz tout ce que vous voudrez : je suis convaincu.

— Oh ! oh ! fit le prince ironiquement.

Natacha nous regardait avec inquiétude. Elle craignait pour Aliocha ; elle n’aurait pas voulu qu’il se montrât sous un jour ridicule devant nous et surtout devant son père.

— C’est de la philosophie, dit-elle ; on t’a endoctriné… tu ferais mieux de nous dire ce qui t’est arrivé.

— C’est bien ce que je fais, reprit-il. Katia a deux cousins, Lévinka et Borinka3. Ce sont des jeunes gens remarquables. Ils ne vont jamais chez la comtesse, par principe. Quand nous nous sommes entretenus, Katia et moi, de la mission de l’homme et de toutes sortes de choses de ce genre, elle m’a parlé de ses cousins et m’a donné quelques lignes de recommandation. Je me suis empressé d’aller faire leur connaissance. Dès le premier soir nous nous sommes entièrement