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tremblante d’émotion. Sa respiration était pénible et inégale. Grand Dieu ! comme elle l’aimait !

— Voilà justement en quoi j’ai l’air d’avoir tort envers toi, et quand je dis : j’ai l’air, ce n’est pas que je crois n’avoir rien à me reprocher, je me le disais en venant. Katia m’a dit hier et aujourd’hui qu’une femme ne saurait pardonner qu’on la néglige ainsi que je l’ai fait pour toi. J’ai soutenu le contraire, et je lui ai déclaré que la femme qui saurait pardonner, c’était Natacha, qu’il n’y en avait dans le monde entier qu’une seule qui lui fût comparable, que c’était Katia. Et je suis venu, sûr de ton pardon, mon ange ! Tu savais bien que si je ne venais pas, cela ne prouvait pas que je t’oubliais, que j’avais cessé de t’aimer. T’oublier ! Le pourrais-je ? Mon cœur souffrirait éloigné de toi. Je n’en suis pas moins coupable ; mais quand tu sauras tout, tu m’excuseras. Je vais tout vous raconter, j’ai besoin d’épancher mon cœur devant vous, c’est pour cela que je suis venu. Je voulais ce matin profiter d’un instant de liberté et voler auprès de toi, pour te donner un baiser ; je n’ai pu : Katia m’a fait chercher. C’était avant ton arrivée, papa : quand nous nous sommes rencontrés, je retournais chez elle, mandé par un billet, car nous avons des courriers qui font la navette toute la journée. Ce n’est qu’hier, Ivan Pétrovitch, que j’ai eu le temps de lire votre billet : vous avez parfaitement raison ; mais que voulez-vous, il y avait impossibilité matérielle ! Alors je me suis dit : Demain soir, je me justifierai sur tous les points, car je savais que je viendrais ce soir, ma Natacha.

— De quel billet parles-tu ? demanda Natacha.

— Ivan Pétrovitch a passé chez moi. Il ne m’a naturellement pas trouvé à la maison et m’a laissé un billet dans lequel il me tançait vertement de ce que je te délaissais : il avait parfaitement raison.

Natacha me regarda.

— Mais puisque tu avais le temps d’être du matin au soir chez Catherine Féodorovna… dit le prince.

— Je sais, je sais ce que tu vas me dire : si tu as trouvé moyen d’être chez Katia, tu avais deux fois plus de raisons d’être ici. Entièrement d’accord, et j’ajouterai même que