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En effet, nous entendîmes du bruit dans l’antichambre. Natacha tressaillit ; le prince, qui ne la quittait pas des yeux, prit une figure de circonstance, la porte s’ouvrit, et Aliocha se précipita dans la chambre.



II

Il entra le visage radieux : on voyait qu’il avait agréablement passé ces quatre jours.

— C’est moi ! s’écria-t-il, moi qui aurais dû être ici le premier. Mais vous saurez tout ! Quand nous nous sommes vus tout à l’heure, papa, je n’ai pas eu le temps de te rien dire, pourtant j’ai beaucoup de choses à te raconter. Ce n’est que dans ses bons moments qu’il me permet de le tutoyer, dit-il en se tournant vers nous. Il a des moments où il me le défend, et quelle tactique il emploie alors ! il commence lui-même par me dire vous. Mais désormais, je veux qu’il soit toujours dans ses bons moments. D’ailleurs, en ces quatre jours, j’ai entièrement changé ; je vous expliquerai cela après. À présent, je ne puis penser qu’à elle. La voilà, la voilà de nouveau, ma Natacha ! ma colombe, mon ange ! Je t’ai fait bien du chagrin tous ces jours, ajouta-t-il en s’asseyant à côté d’elle et en couvrant sa main de baisers ; mais que veux-tu ? Je n’ai pu faire autrement, ma chérie ! je crois que tu as maigri ! tu es pâle !…

Il recommençait à lui baiser les mains avec transport et la regardait comme s’il ne pouvait se rassasier de la voir. Moi aussi, je la regardais, et je m’aperçus que nous avions la même pensée : Aliocha était complètement innocent. De quoi cet innocent aurait-il pu être coupable ?

Une vive rougeur couvrit tout à coup les joues de Natacha, comme si tout son sang se fût porté à la tête ; ses yeux étincelaient, et elle regarda fièrement le prince.

— Mais où… as-tu été… si longtemps ? dit-elle d’une voix