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TROISIÈME PARTIE


I

Il faisait nuit lorsque je sortis de mon cauchemar et me rappelai la réalité. — Nelly, dis-je à ma petite compagne, tu es agitée et malade, et pourtant il faut que je te laisse seule, avec ton émotion et tes larmes. Chère amie ! pardonne-moi et sache qu’il y a, ici près, un être aimé et à qui l’on n’a point pardonné, une malheureuse, une outragée, une abandonnée. Elle m’attend, et ce que tu m’as raconté m’a tellement bouleversé que je sens qu’il faut que je la voie sur-le-champ.

Je ne sais si elle comprit ce que je lui disais. J’étais agité à la suite de ce qu’elle m’avait raconté et à cause de ma récente indisposition ; je courus chez Natacha. Il était neuf heures quand j’y arrivai.

Je vis devant la porte cochère une voiture qui me sembla être celle du prince.

À peine fus-je dans l’escalier, que j’entendis, un étage plus haut, un homme qui montait à tâtons et qui, évidemment, ne connaissait pas les êtres. Je pensais que c’était le prince, mais je me dis bientôt que ce ne pouvait être lui. L’inconnu pestait, maudissant l’escalier avec une énergie qui augmentait à mesure qu’il s’élevait. Certes l’escalier était étroit, malpropre, roide, toujours obscur ; mais il me semblait impossible d’attribuer au prince des jurements pareils à ceux qui commencèrent à me parvenir à