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avait une fabrique ; maman me l’a dit. Elle ne me parlait que rarement de ces choses, pensant que j’étais encore trop petite ; elle me serrait dans ses bras et répétait sans cesse : Le temps viendra où tu sauras tout, pauvre, malheureuse enfant ! et elle m’appelait tout le temps pauvre et malheureuse. La nuit, quelquefois, lorsqu’elle me croyait endormie (je ne dormais pas, mais faisais semblant de dormir),.elle. pleurait, m’embrassait et redisait : Pauvre et malheureuse enfant !

— De quoi est-elle morte ?

— Elle est morte de la phthisie, il y a bientôt deux mois.

— Te rappelles-tu le temps où ton grand-père était riche ?

— Non, je n’étais pas encore née alors. Maman était déjà partie de chez lui quand je suis née.

— Avec qui est-elle partie ?

— Je ne sais pas, répondit-elle tout bas. Elle était allée à l’étranger, et c’est là que je suis née.

— Où es-tu née ?

— En Suisse. J’ai été aussi en Italie, et à Paris, et partout.

— Et tu te rappelles tout ce que tu as vu ?

— Je me rappelle beaucoup de choses.

— D’où vient que tu parles si bien le russe ?

— Maman me l’avait déjà appris là-bas. Elle était Russe, sa mère était Russe ; et grand-papa, quoiqu’il fût Anglais, était né ici, de sorte qu’il était pour ainsi dire Russe. Lorsque nous sommes revenus ici, maman et moi, il y a un an et demi, j’ai bien vite eu appris à parler. Maman était déjà malade, nous étions extrêmement pauvres ; elle ne faisait que pleurer… Nous avons longtemps cherché grand-papa ; maman disait toujours qu’elle était coupable envers lui, et pleurait beaucoup… Comme elle pleurait ! comme elle pleurait !… Lorsqu’elle sut que grand-papa était pauvre, elle pleura encore davantage. Elle lui écrivait souvent des lettres, mais il ne lui répondait pas.

— Pourquoi ta maman est-elle revenue ici, uniquement pour retourner chez son père ?

— Je ne sais pas ; mais que la vie était belle là-bas ! Maman demeurait toute seule avec moi ; elle avait un ami, bon