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Comment savez-vous que j’ai veillé ? j’ai peut-être dormi toute la nuit, dit-elle en rougissant et en me regardant d’un air malicieux et timide.

— Je l’ai vu ; tu ne t’es endormie que vers le jour.

— Voulez-vous prendre le thé ? dit-elle comme pour couper court à cette conversation.

— Oui, donne-moi du thé ; tu n’as pas dîné hier ?

— Non, mais j’ai soupé ; ne vous agitez pas, restez tranquille ; vous êtes encore malade, ajouta-t-elle en m’apportant une tasse de thé et en s’asseyant sur mon lit.

— Je ne puis pas rester couché : il faut que je sorte ce soir ; d’ailleurs, j’ai le temps de me lever.

— Est-il bien nécessaire que vous sortiez ? Chez qui voulez-vous aller ? Chez cet homme qui est venu vous voir hier ?

— Non, pas chez lui.

— Je suis bien aise que ce ne soit pas chez lui ! C’est lui qui vous a rendu malade. Irez-vous chez sa fille ?

— Que sais-tu de sa fille ?

— J’ai tout entendu, dit-elle en baissant les yeux. C’est un méchant vieillard, ajouta-t-elle au bout d’une minute d’hésitation.

— Tu ne le connais pas. C’est, au contraire, un excellent homme.

— Non, non ! il est méchant ; j’ai tout entendu, répondit-elle avec animation.

— Qu’as-tu entendu ?

— Il ne veut pas pardonner à sa fille…

— Il l’aime pourtant. Elle est bien coupable envers lui, et, malgré cela, il s’inquiète d’elle, il se tourmente.

— Pourquoi ne lui pardonne-t-il pas ? À présent même, s’il pardonnait, sa fille devrait ne pas aller chez lui.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il ne mérite pas que sa fille l’aime, s’écria-t-elle avec véhémence. Elle fera mieux de ne pas retourner chez lui, d’aller mendier afin qu’il la voie misérable et demandant l’aumône. Ses yeux étincelaient et ses joues étaient brûlantes. Je ne m’expliquais pas cette irritation.

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