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des cas extraordinaires. Il y a certains moments où l’argent procure une situation indépendante et permet de prendre librement une résolution. Tu n’en as peut-être pas besoin en ce moment ; mais tu peux en avoir besoin bientôt. Dans tous les cas, je te les laisse ; si tu ne les dépenses pas, tu me les rendras. Sur ce, au revoir ! Dieu ! que tu es pâle ! tu es vraiment malade…

Je pris l’argent : j’avais compris de reste pourquoi il me le laissait.

— Je puis à peine me tenir sur mes jambes, lui répondis-je.

— Il faut te soigner, cher ami ; ne sors plus aujourd’hui. Je dirai ton état à Anna Andréievna. Ne faudrait-il pas. appeler un médecin ? Je viendrai te voir demain, ou du moins je tâcherai si mes jambes peuvent me porter. Tu ferais bien de te coucher… Adieu donc ; adieu, petite fille. Pourquoi te détournes-tu ? Tiens, me dit-il à l’oreille, prends encore ces cinq roubles pour la petite. Mais ne lui dis pas que c’est de moi : achète-lui des souliers, du linge… il lui manque, sans doute, beaucoup de choses. Adieu, cher ami…

Je l’accompagnai jusqu’à la porte cochère, et j’envoyai le portier me chercher à manger. Hélène n’avait pas encore dîné…



XI

À peine étais-je remonté chez moi, que je vis la chambre tourner autour de moi, et je tombai de tout mon long sur le plancher. Hélène jeta un cri et se précipita pour me retenir, c’est tout ce que je me rappelle.

Je me retrouvai couché. Hélène me raconta plus tard qu’elle m’avait transporté sur le canapé avec l’aide du portier qui revenait avec le dîner. Je me réveillai à diverses reprises, et chaque fois je voyais penché sur moi le petit visage compatissant et soucieux de l’enfant, et la gentille image de la pauvre petite m’apparaissait comme une vision