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Comment ! il refuserait ! tu es fou !

— Je vous jure qu’il ne se battra pas ; il trouvera un faux-fuyant parfaitement honorable, il mènera cette affaire avec une gravité pédantesque, et vous serez couvert de ridicule…

— De grâce, cher ami, de grâce ! Après cela je m’avoue vaincu. Comment ferait-il pour refuser ? On voit que tu es poëte. Trouves-tu qu’il soit messéant de se battre avec moi ? Je le vaux bien ; je suis un vieillard, un père outragé ; j’ai pour témoin un littérateur russe, donc un homme honorable… Je ne comprends vraiment pas ce qu’il te faut encore…

— Vous verrez. Il donnera telles raisons que vous, le premier, vous trouverez qu’il est impossible que vous vous battiez.

— Hem ! fort bien, mon ami, j’attendrai. Nous verrons ce que le temps amènera ; mais donne-moi ta parole d’honneur que tu ne diras rien de notre conversation, ni là-bas ni à ma femme.

— Je vous la donne.

— Puis, Vania, fais-moi la grâce de ne plus jamais revenir sur ce sujet.

— Je vous le promets.

— Encore une prière pour finir : tu t’ennuies chez nous, je le sais, mais viens nous voir plus souvent, je t’en prie : ma pauvre Anna Andréievna t’aime tant et… et… elle est si triste sans toi… tu comprends, n’est-ce pas, Vania ?

Et il me serrait la main à la briser. Je lui promis de tout mon cœur ce qu’il me demandait.

— Maintenant, Vania, il reste encore une question chatouilleuse. As-tu de l’argent ?

— De l’argent ? répétai-je tout étonné.

— Oui (il rougit et baissa Les yeux) ; à voir ton logement… les circonstances… tu peux avoir des dépenses imprévues (surtout à présent)… tiens, cher ami, voici cent cinquante roubles, en cas de besoin… pour la première occasion…

— Cent cinquante roubles, et encore pour la première occasion, au moment où vous venez de perdre votre procès !…

— Vania ! tu ne me comprends pas. Il peut se présenter