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et la bonté pouvaient seules avoir prise sur cette pauvre petite créature que le malheur avait aigrie et effarouchée. On aurait dit qu’elle n’avait jamais vu de bonnes gens. Si elle avait, malgré l’attente d’un cruel châtiment, mis en lambeaux sa première robe, avec quelle exaspération ne devait-elle pas considérer celle-ci, qui lui rappelait un moment si peu éloigné et si affreux !

Il était facile d’acheter à la friperie et à bon marché une jolie petite robe toute simple ; mais j’étais presque sans argent pour le quart d’heure. Aussi avais-je pensé la veille au moyen de m’en procurer. Je pris mon chapeau, Hélène suivait tous mes mouvements, semblant s’attendre à quelque chose.

— M’enfermerez-vous de nouveau comme hier ? me demanda-t-elle en me voyant prendre la clef.

— Chère enfant, lui dis-je en m’avançant vers elle, ne sois pas fâchée contre moi ; je t’enferme parce que quelqu’un peut venir : tu es malade, tu pourrais avoir peur. Et Dieu sait qui peut venir, la Boubnow pourrait s’aviser de…

Je n’y croyais pas, je l’enfermais parce que je me méfiais d’elle : il me sembla qu’il lui venait tout à coup l’idée de s’enfuir, et je résolus de prendre mes précautions jusqu’à nouvel ordre. Elle se tut, et je l’enfermai cette fois encore.

Je connaissais un éditeur qui publiait un ouvrage en un grand nombre de volumes. J’avais quelquefois travaillé pour lui quand j’étais à court d’argent. Il m’avança vingt-cinq roubles sur un article que je m’engageai à lui faire dans les huit jours.

Je me rendis au marché, et j’eus bientôt trouvé une fripière, à laquelle je donnai approximativement la taille de la petite fille ; et, en un clin d’œil, elle m’eut choisi une petite robe d’indienne claire, qui n’avait été lavée qu’une fois et d’un prix très-modique. J’achetai aussi un fichu ; je me dis que l’enfant aurait besoin d’une petite pelisse, d’un manteau ou de quelque chose de ce genre, car il commençait à faire froid, et elle n’avait absolument rien ; mais je remis cet achat, à un autre jour. Elle était tellement susceptible et fière que je ne savais quel accueil elle ferait à la robe,