Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/155

Cette page n’a pas encore été corrigée

pu s’empêcher de partager sa joie avec lui, qu’il était devenu plus noir qu’un nuage, n’avait pas dit un mot et était parti après le dîner. Elle tremblait de frayeur, et elle me conjura d’attendre avec elle le retour de son mari. Je m’excusai et lui dis qu’elle ne me verrait peut-être pas non plus le lendemain, et que j’étais venu l’en prévenir. Pour le coup, nous faillîmes nous quereller ; elle se mit à pleurer et m’accabla d’amers reproches. Mais quand je fus sur le point de la quitter, elle se jeta à mon cou et me conjura de n’être pas fâché contre son orpheline et d’oublier les paroles qu’elle m’avait dites.

Natacha était de nouveau toute seule, et elle me parut moins contente de me voir que la veille ; on aurait dit que je la dérangeais, que je l’ennuyais. Je lui demandai si Aliocha était venu.

— Oui, répondit-elle ; mais il n’est pas resté longtemps ; il a promis de revenir ce soir.

— Et hier au soir ?

— Non. Il a été retenu, ajouta-t-elle avec volubilité. Et toi, que fais-tu ?

Je vis qu’elle voulait changer de sujet de conversation, et qu’elle n’était pas dans son humeur habituelle, et j’en conclus qu’elle avait quelque nouveau chagrin qu’elle ne voulait pas avouer.

Pour répondre à la question qu’elle m’avait adressée sur ce que je faisais, je lui racontai l’histoire d’Hélène. Elle y prit beaucoup d’intérêt.

— Comment as-tu pu la laisser seule ? s’écria-t-elle lorsque j’eus fini.

Je lui expliquai que j’avais craint qu’elle ne fût fâchée ou qu’elle n’eût besoin de moi.

— En effet, dit-elle comme si elle se parlait à elle-même tout en réfléchissant, j’ai en effet besoin de toi. Mais laissons cela pour une autre fois. As-tu été chez eux ?

Je lui racontai ma visite à sa mère.

— Oui, Dieu sait comment mon père prendra toutes ces nouvelles. Du reste, qu’y a-t-il à prendre ?

— Ce qu’il y a, lui dis-je, un pareil changement !

—