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je n’allais pas la voir, ainsi que je le lui avais promis, et blessée de ce que je la laissais seule dans le moment où elle avait peut-être le plus besoin de moi.

Je savais encore moins comment je ferais pour m’excuser auprès de la mère. Je réfléchis, et résolus de courir chez l’une et chez l’autre. Mon absence ne durerait que deux heures ; Hélène dormait et ne m’entendrait pas sortir. Je me levai, jetai mon paletot sur mes épaules, pris ma casquette, et j’allais sortir, lorsqu’elle m’appela. J’en fus très-étonné. Avait-elle fait semblant de dormir ?

— Où voulez-vous me placer ? me demanda-t-elle.

Je ne m’attendais pas à cette question faite à brûle-pourpoint, et je ne répondis pas tout de suite.

— Vous avez dit tantôt à votre ami que vous vouliez me placer. Je ne veux aller chez personne.

Je me penchai sur elle ; elle avait de nouveau de la chaleur, la fièvre revenait. Je la rassurai, et lui dis que si elle voulait rester chez moi, je ne la placerais nulle part. Tout en parlant, je quittai mon paletot et ma casquette ; je ne pouvais me décider à la laisser seule.

— Non, allez, dit-elle, devinant que je voulais rester. J’ai sommeil, je vais dormir.

— Mais comment te laisser seule ?… demandai-je avec hésitation. Au surplus, je ne resterai pas longtemps…

— Allez seulement. Si j’étais malade toute une année, seriez-vous obligé de rester tout ce temps sans sortir ? dit-elle en essayant de sourire et en me regardant d’une manière étrange ; on aurait dit qu’elle luttait contre un bon sentiment qui parlait dans son cœur. Pauvrette ! Son bon et tendre petit cœur se montrait à découvert, malgré la haine qui devait déjà s’y être amassée et malgré son apparente insensibilité.

Je courus d’abord chez Anna Andréievna, qui m’attendait avec une impatience fiévreuse et m’accueillit avec force reproches. Elle était dans une inquiétude affreuse. Son mari était sorti. Je pressentais que la vieille femme n’avait pu y tenir, et que par ses allusions accoutumées elle avait tout raconté. Elle me l’avoua presque en me disant qu’elle n’avait