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il a été si… comment dire ?… si indifférent… Mais comme j’y vais ! Ah ! nous sommes bien exigeants ! quels despotes nous faisons ! Ge n’est qu’à présent que je m’en aperçois. Nous ne pardonnons pas un simple changement de visage, et encore Dieu sait d’où il provient ! Tu avais bien raison de me gronder. C’est ma faute. Nous nous créons des chagrins, puis nous nous plaignons… Merci, Vania, tu m’as réconfortée. Ah ! s’il pouvait venir aujourd’hui ! Mais quoi ! il se fâcherait peut-être à cause de tantôt.

— Comment ! vous avez déjà eu une querelle ! m’écriai-je tout étonné.

— Pas l’ombre ! Seulement j’étais un peu triste, et lui, de gai qu’il était d’abord, il est devenu rêveur ; il m’a semblé qu’il prenait congé de moi froidement. Mais je l’enverrai chercher… Tu devrais bien venir aussi.

— Je viendrai, si toutefois je ne suis pas retenu.

— Qu’est-ce qui pourrait te retenir ?

— Une affaire que je me suis mise sur les bras ! Mais je crois que je pourrai venir.



VII

À sept heures précises j’étais chez Masloboïew. Il occupait un appartement de trois pièces assez malpropres, mais bien meublées. Il y régnait une certaine aisance et en même temps l’absence la plus complète d’économie.

Une jeune fille qui pouvait avoir dix-neuf ans vint m’ouvrir la porte ; elle était très-jolie, avait des yeux qui exprimaient la bonté et la gaieté ; sa mise était simple, mais gentille et proprette. Je devinai à l’instant que c’était là cette Alexandra Simonovna dont il avait parlé. Lorsque j’eus dit qui j’étais, elle m’annonça que Masloboïew dormait dans sa chambre, mais qu’il m’attendait, et me mena auprès de lui. Masloboïew, couché sur un magnifique canapé, était couvert de son manteau crotté ; sa tête reposait sur un