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hésitation : je ne sais si je dois dire. Ça ne nous regarde pas, nous n’avons rien à voir là dedans…

— Et tu ferais mieux de tenir ta langue à l’attache, dit une grosse voix, qui retentit derrière nous. Je me retournai, et je vis un homme âgé, vêtu d’une robe dé chambre avec un cafetan par-dessus ; c’était le mari de mon interlocutrice.

— Eh ! mon cher monsieur, de quoi aurions-nous à causer avec vous ? Ce n’est pas notre affaire… dit-il en me regardant de travers. Et toi, rentre ! Serviteur, monsieur ; nous sommes fabricants de cercueils. Si vous avez besoin de quelque chose qui concerne le métier, avec plaisir… Mais à, part cela, nous n’avons rien à faire ensemble…

Je m’éloignai tout pensif et en proie à une violente agitation. Je ne pouvais rien faire, et pourtant il m’était pénible de laisser les choses dans le même état. Quelques-unes des paroles de la femme du fabricant de cercueils m’avaient particulièrement frappé ; il y avait sans doute quelque vilenie là-dessous.

Je cheminais la tête basse et plongé dans mes réflexions, lorsque j’entendis mon nom prononcé par une voix égrillarde ; je levai les yeux et trouvai devant moi un homme pris de vin, chancelant sur ses jambes, assez proprement vêtu, mais couvert d’un mauvais manteau et coiffé d’une casquette crasseuse. Cette figure ne m’était pas inconnue ; je me mis à l’examiner, pendant que de son côté il me regardait en faisant de petits yeux et avec un sourire ironique.

— Tu ne me reconnais pas ?


V

— Tiens, c’est toi, Masloboïew ! m’écriai-je en reconnaissant tout à coup un ancien camarade de collège. Quelle rencontre inattendue !

— Oui, une drôle de rencontre ! Il y a six ans que nous ne