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cuelle de terre à la main. Elle fit encore quelques pas et disparut sous la porte cochère d’une maison de mauvaise mine : c’était une maison en pierre, petite, vieille, à deux étages, badigeonnée à neuf d’une couleur jaune sale. À l’une des trois fenêtres de l’étage d’en bas, on voyait une petite bière peinte en rouge ; enseigne d’un fabricant de cercueils, qui n’avait pas l’air de faire de brillantes affaires. Les fenêtres de l’étage supérieur étaient carrées, très-petites, et à travers les vitres ternes, vertes et cassées, on apercevait des rideaux d’indienne rose. Je traversai la rue, et je lus sur une plaque de fer fixée au-dessus de la porte cochère : Maison de la bourgeoise Boubnow.

À peine avais-je eu le temps de déchiffrer cette inscription que j’entendis retentir dans la cour de la maison Boubnow des cris perçants bientôt suivis d’une interminable série d’injures, et je vis, dans la cour, sur le perron d’un escalier de bois, une grosse femme, vêtue comme une bourgeoise, avec un bandeau sur la tête et un châle vert sur les épaules. Son visage était rouge et dégoûtant ; ses yeux petits, noyés dans la graisse et injectés de sang, flamboyaient de méchanceté. Malgré l’heure matinale, elle était évidemment ivre. Elle criait contre la pauvre Hélène, debout devant elle comme pétrifiée avec son écuelle à la main. Une autre créature, les habits et les cheveux en désordre, et la figure maquillée de blanc et de rouge, regardait par derrière les épaules de la mégère.

La porte du sous-sol s’ouvrit un instant après, et une autre femme entre deux âges, pauvrement vêtue, mais d’un extérieur agréable et modeste, apparut aussi sur l’escalier ; d’autres locataires, un vieillard tout caduc et une jeune fille, entr’ouvraient leurs portes ; un moujik, robuste et de haute taille, le portier sans doute, était au milieu de la cour, appuyé sur son balai, et observait nonchalamment toute cette scène.

— Ah ! maudite ! ah ! buveuse de sang ! glapissait la femme, lâchant en une salve tous les jurements qui s’étaient amassés en elle, et cela avec une espèce de hoquet pour toute ponctuation, c’est ainsi que tu me récompenses de mes