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avoir serré la main, continua-t-il en se tournant tout à coup vers moi. Je vous demande pardon ! nous parlons maintenant à bâtons rompus… J’ai déjà eu plusieurs fois le plaisir de vous rencontrer, et nous avons même été présentés l’un à l’autre ; il m’est infiniment agréable de renouveler connaissance.

— Nous nous sommes rencontrés, cela est vrai, lui répondis-je en prenant la main qu’il me tendait ; mais je ne me rappelle pas que nous ayons fait connaissance.

— Chez le prince de R…, l’année dernière.

— Pardon, je l’avais oublié. Mais je vous assure que cette fois je me souviendrai. Cette soirée restera particulièrement mémorable pour moi.

— Oui, vous avez raison. Et pour moi aussi. Je sais que vous êtes l’ami véritable et sincère de Natalie Nicolaïevna et de mon fils. J’ai l’espoir que vous m’admettrez comme quatrième, ajouta-t-il en s’adressant à Natacha.

— Oui, c’est un véritable ami ! Soyons-le tous ! s’écria Natacha, emportée par la force des sentiments qui remplissaient son cœur. Pauvre fille ! son visage avait rayonné de joie quand elle avait vu que le prince n’oubliait pas de prendre congé de moi. Elle m’aimait tant !

— Je connais beaucoup d’admirateurs de votre talent, continua le prince, et, entre autres, deux admiratrices qui seraient enchantées de vous voir ; je veux dire la comtesse, ma meilleure amie, et sa belle-fille. Me permettrez-vous de vous présenter à ces dames ?

— J’en serai extrêmement flatté, quoique j’aie actuellement peu de connaissances…

— Vous me donnerez votre adresse. Où demeurez-vous ? J’aurai le plaisir…

— Je ne puis pas recevoir chez moi, prince, du moins pas en ce moment.

— Quoique je n’aie aucun droit à une exception, je…

— De grâce ! si vous l’exigez… je serai enchanté… je demeure ruelle… maison Klugen.

— Maison Klugen ! s’écria-t-il, comme frappé de quelque chose. Il y a longtemps ?