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La dialectique du prince commençait à faire son effet.

— Il y a cinq jours que je n’ai vu Aliocha, ajouta-t-elle. L’idée et l’exécution sont entièrement à lui.

— J’en étais sûr, reprit le prince ; néanmoins cette pénétration inattendue, cette force de résolution, cette conscience de son devoir, cette noble fermeté, tout enfin est un effet de l’influence que vous avez sur lui. J’y réfléchissais tout à l’heure, et je faisais entrer en ligne de compte toutes ces circonstances en retournant chez moi, et, après y avoir bien réfléchi, je me suis senti la force de prendre une résolution. Nos projets d’alliance avec la maison de la comtesse sont anéantis et ne sauraient être repris ; en fût-il même autrement, ils n’en seraient pas moins abandonnés, car je suis convaincu que vous seule pouvez rendre mon fils heureux, que vous seule pouvez être son guide, et que vous avez déjà posé les fondements de son bonheur futur. Je ne vous ai rien caché tout à l’heure, et je ne vous cache rien à présent : j’aime tout ce qui s’appelle carrière, argent, distinctions, rang, quoique, en conscience, je considère une grande partie de tout cela comme des préjugés ; mais ces préjugés, je les aime, et je ne veux pas les fouler aux pieds. Pourtant il est des circonstances qui imposent silence à toutes les considérations, et j’aime ardemment mon fils… Bref, je suis arrivé à la conclusion qu’Aliocha ne doit pas se séparer de vous, parce que, sans vous, il serait perdu. Et, l’avouerai-je ? il y a déjà tout un mois que j’en suis arrivé là, mais ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai reconnu que cette conclusion était la vraie. J’aurais pu venir vous expliquer tout cela demain au lieu de venir vous déranger à minuit ; mais mon empressement doit vous prouver avec quelle ardeur et surtout avec quelle sincérité je me mets à l’œuvre.

Je ne suis pas un enfant, et je ne saurais, à mon âge, me décider à faire une démarche irréfléchie. Cependant je sens qu’il me faudra un certain temps pour vous persuader entièrement de ma sincérité. Je commence donc. Est-il nécessaire que je vous dise pourquoi je suis venu ? Je suis venu remplir un devoir que j’ai envers vous, et… je vous demande solennellement de ne pas abandonner mon fils et de lui accorder