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franc, vous, le voyez. Libre à vous de regarder avec mépris le père qui avoue lui-même que, poussé par l’intérêt et les préjugés, il a voulu faire commettre à son fils une mauvaise action ; car abandonner une généreuse jeune fille qui a tout sacrifié pour lui et envers laquelle il est si coupable, c’est, une mauvaise action ; encore une fois, je ne me justifie pas. La seconde raison que j’avais de désirer l’union de mon fils avec la belle-fille de la comtesse, c’est que cette jeune fille est digne au plus haut degré d’amour et de considération. Elle est jolie, bien élevée, d’un excellent naturel et pleine d’esprit, quoiqu’elle soit encore enfant en beaucoup de choses. Aliocha manque de caractère, il est étourdi, excessivement peu raisonnable, et tout à fait petit garçon, malgré ses vingt-deux ans ; son seul mérite est peut-être d’avoir le cœur bon, qualité qui, alliée à ses défauts, peut aisément devenir dangereuse.

Depuis longtemps déjà je remarquais que mon influence sur lui allait s’affaiblissant ; l’ardeur des entraînements de la jeunesse prenait le dessus, et l’emportait même sur certaines obligations. Je ne sais si je l’aime trop ; mais j’arrivai à la conviction que, seul, je n’étais pas assez fort pour le conduire : cependant il faut absolument qu’il soit assujetti à une influence constante et bienfaisante. Son naturel soumis, faible, aimant, préfère aimer et obéir à commander, et tel il restera sa vie durant. Vous pouvez vous imaginer combien je fus réjoui quand je rencontrai en Catherine Féodorovna l’idéal que j’avais rêvé. Mais c’était trop tard : – une autre influence régnait déjà sur lui, c’était la vôtre. À mon retour, il y a un mois, je me mis à l’observer, et je trouvai qu’il s’était opéré en lui, à ma grande satisfaction, un notable changement en mieux. Son étourderie, son caractère enfantin étaient demeurés presque les mêmes ; mais certains sentiments élevés s’étaient développés en lui ; il commençait à trouver de l’intérêt à autre chose qu’à des joujoux, à ce qui est grand, noble, honnête ; il lui restait bien encore des idées singulières, inconstantes, absurdes parfois, mais les aspirations, les penchants, le cœur étaient devenus meilleurs, et c’est là la base de tout.