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— Et puis… adieu ! murmura tout bas Natacha comme se parlant à elle-même. Aliocha la regarda avec perplexité.

En ce moment, notre conversation fut interrompue de la manière la plus inattendue. Nous entendîmes du bruit dans la pièce qui servait à la fois de cuisine et d’antichambre, et l’instant d’après Mavra ouvrit la porte et se mit à faire différents gestes à l’adresse d’Aliocha.

— On te demande, viens un peu voir, lut dit-elle d’un ton mystérieux.

— Qui peut me demander ? dit Aliocha en nous regardant avec inquiétude. Je suis de retour dans un instant.

C’était le valet de pied du prince. Ce dernier, en retournant chez lui, avait fait arrêter sa voiture devant la maison qu’habitait Natacha, et envoyait savoir si son fils y était.

— C’est singulier, dit Aliocha tout embarrassé. C’est la première fois ; qu’est-ce que cela veut dire ?

Natacha était en proie à la plus grande inquiétude. Tout à coup Mavra ouvrit de nouveau la porte.

— Le voici lui-même, le prince ! dit-elle en chuchotant avec volubilité, et elle disparut aussitôt.

Natacha se leva, toute pâle. Appuyée sur le rebord de la table et en proie à la plus vive agitation, elle fixait son regard sur la porte par laquelle l’hôte inattendu allait entrer.

— Ne crains rien, je suis avec toi et je ne permettrai pas qu’on t’offense, dit Aliocha, qui, malgré son trouble, faisait encore assez bonne contenance.

La porte s’ouvrit, et le prince Valkovsky parut.


II


Il nous enveloppa d’un regard rapide, attentif, et dans lequel on ne pouvait encore démêler s’il venait en ami ou en ennemi.

C’était un homme de quarante-cinq ans environ ; ses traits beaux et réguliers changeaient d’expression d’après les circonstances ; et ces variations étaient brusques, complètes,