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— C’est plutôt parce que tu m’aimais davantage alors, dit Natacha, tandis qu’à présent…

— N’ajoute pas un mot, Natacha, s’écria Aliocha avec feu ; tu te trompes, tu me fais injure !… Je ne répondrai pas même à ce que tu viens de dire. Écoute-moi jusqu’au bout, et tu verras… Oh ! si tu la connaissais ! Si tu savais quelle âme tendre, sereine, innocente ! Mais tu le sauras ; laisse-moi achever. Il y a quinze jours, lorsque mon père me mena chez Katia, nous nous mîmes, elle et moi, à nous observer réciproquement ; mais je ne me décidai à faire plus intimement connaissance avec elle que le jour où je reçus la fameuse lettre de mon père. Je ne ferai pas son éloge, je dirai seulement qu’elle est une éclatante exception dans le cercle où elle vit. C’est une nature originale, une âme forte et droite, forte particulièrement par sa pureté et sa franchise ; je ne suis auprès d’elle qu’un enfant, un frère cadet, malgré qu’elle n’ait encore que dix-sept ans. Il y a dans son caractère quelque chose de mélancolique et de mystérieux ; elle a quelque chose de craintif, quelque chose d’effrayé. Elle semble avoir peur de mon père, et n’aime pas sa belle-mère, ce que j’avais deviné.

Il y a aujourd’hui quatre jours que, toutes mes observations achevées, mon projet bien arrêté, je résolus de le mettre à exécution, et c’est ce que j’ai fait ce soir même. Je voulais tout raconter à Katia, lui tout avouer, la gagner à notre cause et en finir du coup…

— Que voulais-tu lui raconter ? que voulais-tu avouer ? demanda Natacha tout inquiète.

— Tout, absolument tout, répondit Aliocha, et je bénis le ciel de m’avoir inspiré cette pensée. Je résolus de m’éloigner de vous et de tout terminer à moi seul. Si je vous avais vus, j’aurais hésité, je vous aurais écoutés, et je ne me serais peut-être pas décidé. Mais resté seul, j’ai pris mon grand courage et j’en ai fini ! J’ai décidé que je ne reviendrais auprès de vous qu’avec une solution, et… je l’apporte !

— Quoi ? quoi donc ? comment as-tu fait ? raconte vite !

— Le bonheur a voulu que je fusse seul avec Katia deux heures entières. Je lui ai simplement déclaré qu’en dépit de