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votre agitation, vous parlez spontanément de vos affaires, et à moi et aux autres. Plusieurs particularités intéressantes m’ont été aussi communiquées hier par M. Razoumikhine. Non, vous m’avez interrompu, j’allais vous dire que, malgré tout votre esprit, vous avez perdu la vue saine des choses par suite de votre humeur soupçonneuse. Tenez, par exemple, cet incident du cordon de sonnette : voilà un fait précieux, un fait inappréciable pour un magistrat enquêteur ! Je vous le livre naïvement, moi juge d’instruction, et cela ne vous ouvre pas les yeux ? Mais si je vous croyais, le moins du monde coupable, est-ce ainsi que j’aurais agi ? Ma ligne de conduite en ce cas était toute tracée : j’aurais dû, au contraire, commencer par endormir votre défiance, faire semblant d’ignorer ce fait, attirer votre attention sur un point opposé ; puis brusquement je vous aurais, selon votre expression, asséné sur le sinciput la question suivante : « Qu’êtes-vous donc allé faire, monsieur, à dix heures du soir, au domicile de la victime ? Pourquoi avez-vous tiré le cordon de la sonnette ? Pourquoi avez-vous questionné au sujet du sang ? Pourquoi avez-vous abasourdi les dvorniks en demandant qu’on vous conduisît au bureau de police ? » Voilà comme j’aurais nécessairement procédé, si j’avais quelque soupçon à votre endroit. J’aurais dû vous soumettre à un interrogatoire en règle, ordonner une perquisition, m’assurer de votre personne… Puisque j’ai agi autrement, c’est donc que je ne vous soupçonne pas ! Mais vous avez perdu le sens exact des choses, et vous ne voyez rien, je le répète !

Raskolnikoff trembla de tout son corps, ce dont Porphyre Pétrovitch put facilement s’apercevoir.

— Vous mentez toujours ! vociféra le jeune homme. Je ne sais quelles sont vos intentions, mais vous mentez toujours… Tout à l’heure, vous ne parliez pas dans ce sens-là, et il m’est impossible de me faire illusion… Vous mentez !