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le regarda pendant quelques secondes ; ensuite, il tourna sur ses talons et disparut, emportant dans son cœur une haine mortelle contre Raskolnikoff, à qui seul il imputait sa disgrâce. Chose à noter, tandis qu’il descendait l’escalier, il s’imaginait encore que tout n’était pas perdu sans remède, et qu’un raccommodement avec les deux dames n’avait rien d’impossible.

III

Durant cinq minutes, tous furent très-joyeux, leur satisfaction se traduisit même par des rires. Seule Dounetchka pâlissait de temps à autre et fronçait le sourcil au souvenir de la scène précédente. Mais de tous le plus enchanté était Razoumikhine. Sa joie, qu’il n’osait pas encore manifester ouvertement, se trahissait malgré lui dans le tremblement fiévreux de toute sa personne. À présent, il avait le droit de donner toute sa vie aux deux dames, de se consacrer à leur service… Toutefois, il refoulait ces pensées au plus profond de lui-même et craignait de donner carrière à son imagination. Quant à Raskolnikoff, immobile et maussade, il ne prenait aucune part à l’allégresse générale ; on eût même dit qu’il avait l’esprit ailleurs. Après avoir tant insisté pour qu’on rompît avec Loujine, il semblait être celui que cette rupture, maintenant consommée, intéressait le moins. Dounia ne put s’empêcher de penser qu’il était toujours fâché contre elle, et Pulchérie Alexandrovna le regarda avec inquiétude.

— Qu’est-ce que t’a donc dit Svidrigaïloff ? demanda la jeune fille en s’approchant de son frère.

— Ah ! oui, oui ! fit vivement Pulchérie Alexandrovna.

Raskolnikoff releva la tête.