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ce fut, selon son habitude, avec timidité qu’elle lui tendit la main.

Elle la lui tendait toujours timidement ; parfois même elle n’osait la lui offrir, comme si elle eût craint de la voir repoussée. Il semblait toujours prendre cette main avec répugnance ; toujours il avait l’air fâché quand la jeune fille arrivait, et quelquefois celle-ci ne pouvait obtenir de lui une seule parole. Il y avait des jours où elle tremblait devant lui et se retirait profondément affligée. Mais cette fois leurs mains se confondirent dans une longue étreinte ; Raskolnikoff regarda rapidement Sonia, ne proféra pas un mot et baissa les yeux. Ils étaient seuls, personne ne les voyait. Le garde-chiourme s’était momentanément éloigné.

Soudain et sans que le prisonnier sût lui-même comment cela était arrivé, une force invisible le jeta aux pieds de la jeune fille. Il pleura, lui embrassa les genoux. Dans le premier moment elle fut fort effrayée, et son visage devint livide. Elle se leva vivement et, toute tremblante, regarda Raskolnikoff. Mais il lui suffit de ce regard pour tout comprendre. Un bonheur immense se lut dans ses yeux rayonnants ; il n’y avait plus de doute pour elle qu’il ne l’aimât, qu’il ne l’aimât d’un amour infini ; enfin ce moment était donc arrivé…

Ils voulurent parler et ne le purent. Ils avaient des larmes dans les yeux. Tous deux étaient pâles et défaits, mais sur leurs visages maladifs brillait déjà l’aurore d’une rénovation, d’une renaissance complète. L’amour les régénérait, le cœur de l’un renfermait une inépuisable source de vie pour le cœur de l’autre.

Ils résolurent d’attendre, de prendre patience. Ils avaient sept ans de Sibérie à faire : de quelles souffrances intolérables et de quel bonheur infini ce laps de temps devait être rempli pour eux ! Mais Raskolnikoff était ressuscité, il le savait, il le sentait dans tout son être, et Sonia — Sonia ne vivait que de la vie de Raskolnikoff.