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et c’est ce qui les justifie, tandis que moi, je n’ai pas su poursuivre, par conséquent je n’avais pas le droit de commencer. »

Il ne se reconnaissait qu’un seul tort : celui d’avoir faibli, d’être allé se dénoncer.

Une pensée aussi le faisait souffrir : pourquoi alors ne s’était-il pas tué ? Pourquoi, plutôt que de se jeter à l’eau, avait-il préféré se livrer à la police ? L’amour de la vie était-il donc un sentiment si difficile à vaincre ? Svidrigaïloff pourtant en avait triomphé !

Il se posait douloureusement cette question et ne pouvait comprendre que, quand en face de la Néwa il songeait au suicide, alors même peut-être il pressentait en lui et dans ses convictions une erreur profonde. Il ne comprenait pas que ce pressentiment pouvait contenir en germe une nouvelle conception de la vie, que ce pouvait être le prélude d’une révolution dans son existence, le gage de sa résurrection.

Il admettait plutôt qu’il avait alors cédé, par lâcheté et défaut de caractère, à la force brutale de l’instinct. Le spectacle offert par ses compagnons de captivité l’étonnait : combien tous ils aimaient aussi la vie ! combien ils l’appréciaient ! Il semblait même à Raskolnikoff que ce sentiment était plus vif chez le prisonnier que chez l’homme libre. Quelles affreuses souffrances n’enduraient pas certains de ces malheureux, les vagabonds, par exemple ! Se pouvait-il qu’un rayon de soleil, un bois sombre, une fontaine fraîche eussent tant de prix à leurs yeux ? À mesure qu’il les observa davantage, il découvrit des faits plus inexplicables encore.

Dans la prison, dans le milieu qui l’entourait, bien des choses, sans doute, lui échappaient ; d’ailleurs, il ne voulait fixer son attention sur rien. Il vivait, pour ainsi dire, les yeux baissés, trouvant insupportable de regarder autour de lui. Mais à la longue plusieurs circonstances le frappèrent, et, malgré lui en quelque sorte, il commença à remarquer