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Il réussit enfin à s’échapper.

La soirée était chaude sans être étouffante ; depuis le matin, le temps s’était éclairci. Raskolnikoff regagna vivement sa demeure. Il voulait avoir tout fini avant le coucher du soleil. Pour le moment toute rencontre lui eût été fort désagréable. En montant à sa chambre, il remarqua que Nastasia, alors occupée à préparer le thé, avait interrompu sa besogne, et le suivait d’un œil curieux.

« Est-ce qu’il y aurait quelqu’un chez moi ? » se dit-il, et malgré lui il songea à l’odieux Porphyre. Mais quand il ouvrit la porte de son logement, il aperçut Dounetchka. La jeune fille, assise sur le divan, était pensive ; sans doute elle attendait son frère depuis longtemps. Il s’arrêta sur le seuil. Elle eut un mouvement d’effroi, se redressa et le regarda longuement. Une immense désolation se lisait dans les yeux de Dounia. Ce seul regard prouva à Raskolnikoff qu’elle savait tout.

— Dois-je m’avancer vers toi ou me retirer ? demanda-t-il avec hésitation.

— J’ai passé toute la journée à t’attendre chez Sophie Séménovna ; nous comptions t’y voir.

Raskolnikoff entra dans la chambre et se laissa tomber avec accablement sur une chaise.

— Je me sens faible, Dounia ; je suis très-fatigué, et, en ce moment surtout, j’aurais besoin de toutes mes forces.

Il jeta sur sa sœur un regard défiant.

— Où as-tu donc été durant toute la nuit dernière ?

— Je ne m’en souviens pas bien ; vois-tu, ma sœur ? je voulais prendre un parti définitif, et plusieurs fois je me suis approché de la Néwa ; cela, je me le rappelle. Mon intention était d’en finir ainsi… mais… je n’ai pu m’y résoudre… acheva-t-il à voix basse en cherchant à lire sur le visage de Dounia l’impression produite par ses paroles.

— Dieu soit loué ! C’était précisément ce que nous crai-