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soudain rappelé toutes les agitations morales des derniers mois. Ce fut avec un sentiment de violente répulsion qu’il jeta la brochure sur la table.

— Mais, toute bête que je suis, Rodia, je puis néanmoins juger que d’ici à très-peu de temps tu occuperas une des premières places, sinon la première, dans le monde de la science. Et ils ont osé penser que tu étais fou ! Ha ! ha ! ha ! tu ne sais pas que cette idée leur était venue ? Ah ! les pauvres gens ! Du reste, comment pourraient-ils comprendre ce que c’est que l’intelligence ? Dire pourtant que Dounetchka, oui, Dounetchka elle-même, n’était pas trop éloignée de le croire ! Est-ce possible ! Il y a six ou sept jours, Rodia, je me désolais en voyant comme tu es logé, habillé et nourri. Mais, maintenant, je reconnais que c’était encore une sottise de ma part : en effet, dès que tu le voudras, avec ton esprit et ton talent tu arriveras d’emblée à la fortune. Pour le moment, sans doute, tu n’y tiens pas, tu t’occupes de choses beaucoup plus importantes…

— Dounia n’est pas ici, maman ?

— Non, Rodia. Elle est très-souvent dehors, elle me laisse seule. Dmitri Prokofitch a la bonté de venir me voir, et il me parle toujours de toi. Il t’aime et t’estime, mon ami. Pour ce qui est de ta sœur, je ne me plains pas du peu d’égards qu’elle me témoigne. Elle a son caractère comme j’ai le mien. Il lui plaît de me laisser ignorer ses affaires, libre à elle ! Moi, je n’ai rien de caché pour mes enfants. Sans doute, je suis persuadée que Dounia est fort intelligente, que, de plus, elle a beaucoup d’affection pour moi et pour toi… Mais je ne sais à quoi aboutira tout cela… Je regrette qu’elle ne puisse profiter de la bonne visite que tu me fais. À son retour, je lui dirai : « En ton absence, ton frère est venu ; où étais-tu pendant ce temps-là ? » Toi, Rodia, ne me gâte pas trop : passe chez moi quand tu pourras le faire sans te déranger ; si tu n’es pas libre, ne te gêne pas, je pren-