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outre. À gauche, un beffroi s’offrit à sa vue. « Bah ! pensa-t-il, voilà une place, à quoi bon aller dans l’Île Pétrowsky ? Comme cela, la chose pourra être officiellement constatée par un témoin… » Souriant à cette nouvelle idée, il prit la rue ***.

Là se trouvait le bâtiment que surmontait le beffroi. Contre la porte était appuyé un petit homme enveloppé dans un manteau de soldat et coiffé d’un casque grec. En voyant Svidrigaïloff s’approcher, il lui jeta du coin de l’œil un regard maussade. Sa physionomie avait cette expression de tristesse hargneuse qui est la marque séculaire des visages israélites. Pendant quelque temps, tous deux s’examinèrent en silence. À la fin, il parut étrange au factionnaire qu’un individu qui n’était pas ivre s’arrêtât ainsi à trois pas de lui et le fixât sans dire un seul mot.

— Qu’est-ce que vous voulez ? demanda-t-il, toujours adossé contre la porte.

— Mais rien, mon ami, bonjour ! répondit Svidrigaïloff.

— Passez votre chemin.

— Mon ami, je vais à l’étranger.

— Comment, à l’étranger ?

— En Amérique.

— En Amérique ?

Svidrigaïloff prit le revolver dans sa poche et l’arma. Le soldat releva les sourcils.

— Dites donc, ce ne sont pas des plaisanteries à faire ici !

— Pourquoi pas ?

— Parce que ce n’est pas le lieu.

— N’importe, mon ami, la place est bonne tout de même ; si l’on t’interroge, tu répondras que je suis parti pour l’Amérique.

Il appuya le canon de son revolver contre sa tempe droite.