yeux un riant paysage ; c’était le jour de la Trinité, le temps était superbe. Au milieu des plates-bandes fleuries apparaissait un élégant cottage dans le goût anglais ; des plantes grimpantes s’enroulaient autour du perron, des deux côtés de l’escalier couvert d’un riche tapis s’étageaient des potiches chinoises contenant des fleurs rares. Aux fenêtres, dans des vases à demi pleins d’eau plongeaient des bouquets de jacinthes blanches qui s’inclinaient sur leurs hampes d’un vert cru et répandaient un parfum capiteux. Ces bouquets attiraient particulièrement l’attention de Svidrigaïloff, et il aurait voulu ne pas s’en éloigner ; cependant il monta l’escalier et entra dans une salle grande et haute ; là encore, partout, aux fenêtres, près de la porte donnant accès à la terrasse comme sur la terrasse elle-même, partout il y avait des fleurs. Les parquets étaient jonchés d’une herbe fraîchement fauchée et exhalant une odeur suave ; par les croisées ouvertes pénétrait dans la chambre une brise délicieuse, les oiseaux gazouillaient sous les fenêtres. Mais, au milieu de la salle, sur une table couverte d’une nappe de satin blanc était placé un cercueil. Des guirlandes de fleurs l’entouraient de tous côtés, et à l’intérieur il était capitonné de gros de Naples et de ruche blanche. Dans cette bière reposait sur un lit de fleurs une fillette vêtue d’une robe de tulle blanc ; ses bras étaient croisés sur sa poitrine, et on les aurait pris pour ceux d’une statue de marbre. Ses cheveux d’un blond clair étaient en désordre et mouillés ; une couronne de roses ceignait sa tête. Le profil sévère et déjà roidi de son visage semblait aussi découpé dans le marbre ; mais le sourire de ses lèvres pâles exprimait une tristesse navrante, une désolation qui n’appartient pas à l’enfance. Svidrigaïloff connaissait cette fillette ; il n’y avait près du cercueil ni images pieuses, ni flambeaux allumés, ni prières. La défunte était une suicidée, — une noyée. À quatorze ans, elle avait eu le cœur brisé par un outrage qui
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