Les autres fois, ce petit manège réussissait très-bien ; mais, dans la circonstance présente, Svidrigaïloff se montra plus impatient que de coutume et demanda à voir sur-le-champ sa future, quoiqu’on lui eût dit qu’elle était déjà couchée. Bien entendu, on s’empressa de le satisfaire. Arcade Ivanovitch dit à la jeune fille qu’une affaire urgente l’obligeant à s’absenter pour quelque temps de Pétersbourg, il lui avait apporté quinze mille roubles, et qu’il la priait d’accepter cette bagatelle, dont il avait depuis longtemps l’intention de lui faire cadeau avant le mariage. Il n’y avait guère de liaison logique entre ce présent et le départ annoncé ; il ne semblait pas non plus que cela nécessitât absolument une visite au milieu de la nuit, par une pluie battante. Néanmoins, si louches qu’elles pussent paraître, ces explications furent parfaitement accueillies ; à peine même si les parents témoignèrent quelque surprise devant des agissements aussi étranges ; fort sobres de questions et d’exclamations étonnées, ils se répandirent par contre en remerciements des plus chaleureux auxquels l’intelligente mère mêla ses larmes. Svidrigaïloff se leva, embrassa sa fiancée, lui tapota doucement la joue et assura qu’il serait bientôt de retour. La fillette le regardait d’un air intrigué ; on lisait dans ses yeux plus qu’une simple curiosité enfantine. Arcade Ivanovitch remarqua ce regard ; il embrassa de nouveau sa future et se retira en songeant avec un réel dépit que son cadeau serait à coup sûr conservé sous clef par la plus intelligente des mères.
À minuit, il rentrait en ville par le pont de ***. La pluie avait cessé, mais le vent faisait rage. Pendant près d’une demi-heure, Svidrigaïloff battit le pavé de l’immense perspective ***, paraissant chercher quelque chose. Peu de temps auparavant, il avait remarqué, sur le côté droit de la perspective, un hôtel qui, autant qu’il s’en souvenait, s’appelait l’Hôtel d’Andrinople. À la fin, il le trouva. C’était un