ferez bien, en attendant, de confier l’argent à M. Razoumikhine. Vous connaissez sans doute M. Razoumikhine ? C’est un brave garçon. Portez-le-lui demain ou… quand vous en aurez l’occasion. Mais, d’ici là, tâchez qu’on ne vous le prenne pas.
Sonia s’était levée aussi et fixait un regard inquiet sur le visiteur. Elle avait grande envie de dire quelque chose, de faire quelque question, mais elle était intimidée et ne savait par où commencer.
— Ainsi vous… ainsi vous allez vous mettre en route par un temps pareil ?
— Quand on part pour l’Amérique, est-ce qu’on s’inquiète de la pluie ? Adieu, chère Sophie Séménovna ! Vivez et vivez longtemps, vous êtes utile aux autres. À propos… faites donc mes compliments à M. Razoumikhine. Dites-lui qu’Arcade Ivanovitch Svidrigaïloff le salue. N’y manquez pas.
Quand il l’eut quittée, Sonia resta oppressée par un vague sentiment de crainte.
Le même soir, Svidrigaïloff fit une autre visite fort singulière et fort inattendue. La pluie tombait toujours. À onze heures vingt, il se présenta tout trempé chez les parents de sa future, qui occupaient un petit logement dans Vasili-Ostroff. Il eut grand’peine à se faire ouvrir, et son arrivée à une heure aussi indue causa dans le premier moment une stupéfaction extrême. On crut d’abord à une frasque d’homme ivre, mais cette impression ne dura qu’un instant ; car, quand il le voulait, Arcade Ivanovitch avait les manières les plus séduisantes. L’intelligente mère roula auprès de lui le fauteuil du père infirme et engagea aussitôt la conversation par des questions détournées. Jamais cette femme n’allait droit au fait : voulait-elle savoir, par exemple, quand il plairait à Arcade Ivanovitch que le mariage fût célébré, elle commençait par l’interroger curieusement sur Paris, sur le high life parisien, pour le ramener peu à peu à Vasili-Ostroff.